En immersion avant les législatives : “Je sais que rien ne changera, je veux juste que le RN passe”, l’extrême droite décomplexée à Valras

En immersion avant les législatives : "Je sais que rien ne changera, je veux juste que le RN passe", l'extrême droite décomplexée à Valras

Jérémie Sauzé, patron pêcheur : “Le Pen père, peut-être que je n’aurais pas essayé”. Midi Libre – MICHAEL ESDOURRUBAILH

Et vous, que pensez-vous de la situation politique du pays ? Pendant une semaine, Midi Libre part à la rencontre des habitants d’Occitanie, loin des appareils de partis et des paroles d’experts : à Uzès, la ville de carte postale où le RN vient de conquérir le duché, avec les éleveurs et les agriculteurs des villages de la Montagne noire où paissent les brebis et les vaches Gasconne, auprès des habitants de la ville moyenne de Narbonne, des Métropoles de Nîmes et Montpellier, avec les ouvriers de la ceinture industrielle de Rodez, dans l’ancienne cité minière de La Grand Combe. À Valras, où l’extrême droite a totalisé plus de 60 % des voix aux Européennes, la parole aux pêcheurs et aux amoureux de la mer.

"La politique, depuis que j’ai arrêté la poissonnerie, c’est Marine" : sur le front de mer de Valras-Plage, ces 1,8 km où se croisent habitants et touristes, avec un cœur central de petits immeubles vue sur mer après la plage protégée de haies ordonnées de ganivelles et restaurants en rez-de-chaussée, encadré d’un côté par le port, jusqu’aux étals de pêcheurs, de l’autre, un quartier résidentiel plus sauvage et moins animé, Jean-François Liguori se raconte sans détour.

Le bateau de croisière et de pêche en mer, bloqué par un problème mécanique, ne tardera pas à suivre la côte, Jean-François Liguori aux commandes, et Philippe Dziedzic, en reconversion professionnelle dans les métiers de la mer, à ses côtés.

En immersion avant les législatives : "Je sais que rien ne changera, je veux juste que le RN passe", l'extrême droite décomplexée à Valras

Philippe Dziedzic : “Les gens font de la politique pour avoir leur mandat, pas pour aider les gens”. Midi Libre – MICHAEL ESDOURRUBAILH

Sur le plan politique, le contexte local tient en un chiffre sans nuances : l’extrême droite a totalisé 67,93 % des voix aux élections européennes si on additionne les scores de Jordan Bardella, Marion Maréchal et Florian Philippot, avec une bonne mobilisation, cinq points au dessus de la moyenne nationale.

Quitter la France

En 2007, Jean-François Liguori avait pourtant voté Sarkozy, avant de basculer au RN : "Je vote "l’homme", selon comment il parle. Marine, elle parle bien". Et elle fait écho au contexte : "A 20 ans, quand j’étais pêcheur, je vivais mieux qu’aujourd’hui. Quand j’ai eu une poissonnerie, j’ai vu que le pouvoir d’achat devenait de plus en plus light, les gens vivent à découvert. Depuis que j’ai cédé l’affaire, je fais beaucoup de remplacements, du remorquage, l’été, il y a toujours quelque chose à prendre". Pas pour "mener la vie de luxe", mais "se débrouiller".

C’est plus compliqué pour les enfants : "Ils galèrent, avec des métiers au Smic, et si aujourd’hui, un couple n’a pas 4000 euros par mois pour vivre, c’est compliqué", constate l’Héraultais. Mais comme "les politiques donnent de l’argent à n’importe qui…"

Il résiste, pour l’instant, à la tentation de s’installer en Espagne. Son coéquipier du jour, Philippe Dziedzic, 57 ans, qui a commencé "à l’usine 9 heures par jour" puis est devenu fonctionnaire, a aussi le projet de "quitter la France, par pour gagner de l’argent, pour changer de vie". Il a fait ses calculs pour acheter un catamaran, la démonstration est claire, plus précise que sa pensée politique : "Les gens ne font pas de politique pour aider les gens ou défendre des idées, mais pour avoir un mandat. On assiste plus à des batailles d’ego que d’idées, et ils attisent la haine pour obtenir des voix".

Aucune liste n’aura la sienne : "Je ne vote pas".

Jean-Claude, ancien délégué CGT : "Je n’y crois plus"

Et peut-être pas celle de Jean-Claude (NDLR : seuls, les prénoms sont donnés pour les personnes qui n’ont pas communiqué leur nom), 58 ans, "ancien délégué CGT", qui donne un coup de main sur le quai des pêcheurs : "Pour la première fois de ma vie, je n’ai pas voté aux Européennes. Je n’y crois plus". S’il se décide, "ce ne sera pas pour les extrêmes".

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Jérémy Pace, patron pêcheur, reste indécis. Midi Libre – MICHAEL ESDOURRUBAILH

Jérémy Pace, le patron pêcheur, reste discret sur ses intentions. Il préfère parler du métier, et de l’argent envolé dans les marges : "On vend la sole entre 30 et 32 euros, je l’ai vue hier sur un étal à 56 euros". Les professionnels, eux, font face à la "hausse du gasoil", "du prix des filets" 

"Le Pen père, je n’aurais peut-être pas fait le pas", confie le confrère Jérémie Sauzé, 47 ans, dont "trente-deux de métier", une "passion". "Je ne m’intéresse pas plus que ça à la politique, mais j’ai toujours voté. Je pense qu’on a besoin d’un coup de barre à droite. Le RN, on n’a pas essayé. Oui, bien sûr, c’est mon choix, je ne m’en cache pas. Je me fous des promesses, et je sais que le 7 juillet, rien ne va changer. Je veux juste qu’ils passent, pour voir", explique le quadra, qui s’étonne spontanément de l’attitude "d’un mec comme Kylian" (NDLR : Mbappé) : "J’aurais préféré qu’il se contente de dire d'aller voter. Il ferait mieux de se concentrer sur le ballon".

À l’heure de l’entraînement, le club de rames traditionnelles "Lous Ramaires", une institution dans la cité, préfère esquiver le sujet : "On s’éloigne le plus possible de la politique".

En immersion avant les législatives : "Je sais que rien ne changera, je veux juste que le RN passe", l'extrême droite décomplexée à Valras

Au club de rame traditionnelle “Lous ramaires” : “On s’éloigne le plus possible de la politique”. Midi Libre – MICHAEL ESDOURRUBAILH

Un Valrasien investi dans la vie locale en parle franchement à condition de rester anonyme. Il y a "plus de 70 ans" qu’il "vient ici". "On me demande encore si je suis un gabian, et pour ça il faut être né et être allé à l’école primaire à Valras. C’est un monde d’entre-soi, la ville s’auto-protège. Avec cette situation, les gens font des amalgames, ça crée des tensions et ça donne un fort résultat pour les extrêmes, assumé de façon décomplexée", analyse-t-il, citant pêle-mêle "l’explosion du tourisme l’été", la population passe de 4 000 à 45 000 habitants, le malaise face aux "Biterrois qui descendent à la station et ne font pas d’effort", et même le "parking qui vient de passer payant".

"Les gens ont l’impression que tout change et qu’ils n’ont pas la main". Et cette ville "de retraités et de gens que la crise met en difficulté se pense laissée-pour-compte, ce n’est pas la première fois, Valras n’était pas dans la mission Racine d’aménagement du littoral", rappelle-t-il, soucieux de ne "pas avoir de problèmes avec mes voisins".

En immersion avant les législatives : "Je sais que rien ne changera, je veux juste que le RN passe", l'extrême droite décomplexée à Valras

Au camping “Le Central”, la “violence” et le “non respect de l’autre” préoccupent les retraités. Midi Libre – MICHAEL ESDOURRUBAILH

“On est tellement déçu de tout” : au camping, Le Central, des touristes pleinement en phase

"Beaucoup d'habitués", des touristes souvent de proximité, immergés dans la vie de la cité : Freddy Corbière, le gérant accueillant du Central, "le seul camping de la commune", ouvre la porte à la rencontre de la clientèle déjà présente malgré le timide début d'été. Sur l'avenue Charles Cauquil, l'artère commerçante de Valras-Plage, on pourrait presque rater l'entrée du site, à proximité de la copropriété Le bleu marine.

Le contexte politique n'épargne pas les vacanciers. "Je vais au RN, je vous le dis franchement", annonce Véronique, invitée dans le bungalow de Marie-Josée. Les voisines habitent Mondavezan, dans la Haute-Garonne, une commune toute proche de Martres-Tolosane, le village de la présidente de la Région Carole Delga. "Ces derniers temps, c'est la "cata", je viens de perdre 200 euros, l'équivalent du montant de mon loyer". A 62 ans, Véronique peine à joindre les deux bouts avec des revenus assurés principalement par une allocation adulte handicapé, augmentée après le conflit des Gilets jaunes, mais le progrès s'est avéré pénalisant par ses effets de bord.

"Tout est devenu un luxe, le kilo de pêches à 4 euros, c'est pas possible, les cerises à 12 euros, c'est pas possible", enchaîne Marie-Josée, retraitée, qui a manqué "pour la première fois une élection aux dernières européennes", et sera aussi absente au premier tour des législatives, sans regrets : "On est tellement déçu de tout".

"Je suis favorable au social s'il est ciblé"

"Moi, ma préoccupation principale, c'est la montée de la violence", annonce Annick qui arrive de Côte-d'Or.  "La violence et le non respect de tout. Les gens ne savent plus se faire respecter et rien n'est respectable", ajoute Frédérique, du Loir-et-Cher. Elle se dit aussi "favorable au social s'il est ciblé, pour les accidents de la vie". 

Mais en politique, "comment peut-on se positionner ? On ne sait pas qui représente qui". Annick ne croit pas davantage à la politique, et ce qu'elle voit aujourd'hui l'"écoeure". Avec son mari, elle avait pourtant "espéré en Macron", "on s'était dit que c'était un jeune…"

"Je ne sais même pas encore pour qui je vais voter", assure Annie, des Ardennes, effrayée par l'actualité quotidienne : "C'est pas gai. Tous les jours, c'est des coups de couteau, des vols… Il y a trop d'immigrés, on n'ose plus trop réagir, les gens ne respectent plus rien. La politique, je fais mon devoir mais je n'y ai jamais cru. Beaucoup disent qu'il faut du changement, est-ce que ce sera mieux ou pire…" Huguette, venue de la banlieue toulousaine, se souvient du temps où "c'était la campagne". Désormais, elle "'ne sort plus le soir". Elle aussi fera son devoir, avec une idée en tête : "On ne l'a jamais essayé, le changement".

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