En immersion avant les législatives : parachutage de Poutou, crise agricole, ancrage du RN… dans l’Aude, un sentiment de “chaos”

En immersion avant les législatives : parachutage de Poutou, crise agricole, ancrage du RN… dans l’Aude, un sentiment de "chaos"

Nicolas Lassalle, éleveur de vaches Gasconne : Midi Libre – SYLVIE CAMBON

Après les manifestations agricoles de l’hiver dernier, que disent agriculteurs, éleveurs, viticulteurs de la politique ? Dans l’Aude, Midi Libre a mesuré le malaise ambiant, auprès des éleveurs des terres isolées de la Montagne noire comme aux portes du littoral.

Les agriculteurs et la politique dans l’Aude ? "On a eu le Midi rouge, on en est loin. Ça explose, puis on continue comme avant", observe un connaisseur du monde agricole. C’est ici, il y a un an, qu’un viticulteur lâche "Va faire la soupe salope" à Marine Tondelier, secrétaire nationale d’EELV, et à la députée Sandrine Rousseau. Les trois députés RN du département ont repris l’insulte en toute impunité, dans une manifestation agricole.

Gagnée par le député Christophe Barthès en 2022, la première circonscription est la "circo" de Mailhac, la commune de Gérard Schivardi, candidat d’extrême gauche à la présidentielle, en 2007. Philippe Poutou, un autre prétendant à la présidence de la République, vient d’y être parachuté par le Nouveau Front populaire.

On connaît le contexte : le monde "paysan" est moribond, de l’élevage à la vigne. De l’élevage à la vigne, du nord au sud, c’est la route tracée depuis Moussels, sur la commune des Martys, dans la Montagne Noire, aux confins du Tarn, aux portes de la Méditerranée, à Lézignan-Corbières.

Nicolas Lassalle, éleveur de Gasconne dans la Montagne noire : "Au salon de l’agriculture pour faire la photo"

"C’est le chaos" : Nicolas Lassalle, 62 ans, éleveur de Gasconne des Pyrénées, dans la Montagne noire, aux Martys et à Labastide-Esparbairenque, président de l’Interveb (Interprofession bétail et viandes d’Occitanie), est "très très très inquiet" : "Il y a la peste, le choléra, et au milieu, le typhus", résume l’Audois "authentique rustique et apolitique", qui joue parfois de son homonymie avec Jean Lassalle. En ce moment, il doit composer avec la vie "au ralenti" dans les cabinets ministériels, "sans représentant pour défendre le monde paysan".

Il a aussi les yeux sur une autre élection, celle des chambres d’agriculture, en 2025 : "Il se pourrait que plusieurs basculent".

Le représentant FNSEA, qui "ne conçoit pas ne pas être acteur de mon environnement", il est premier adjoint à Labastide-Esparbairenque, 50 habitants. C’est son sixième mandat : "Le village a voté RN aux Européennes, on est pourtant dans un fief socialiste", rappelle-t-il, sur les terres de feu Raymond Courrière.

"Allez nous foutre Poutou, aussi ! Qu’est-ce que vous voulez qu’il vienne voir la misère !…. Barthès fait le boulot, même si on est au trou du cul du monde. On n’a pas trop vu les derniers élus PS. Les politiques viennent juste faire la photo au salon de l’agriculture. Je me suis fait taper sur les doigts parce que j’avais discuté avec Marion Maréchal. Mais j’ai aussi parlé avec Raphaël Glucksmann ! Et les années précédentes avec Marine Le Pen, Chirac ; Sarkozy… Je me fous des étiquettes, ce qui m’intéresse, ce sont les gens compétents".

Parce que le défi est immense : 'Ici, il y a 30 ruines d’exploitations, sur 10 000 hectares. C’était un plateau agricole. Entre les sapins plantés par des sociétés venues faire de la défiscalisation, et les éoliennes, Il n’y a plus que nous, mon fils et moi".

Camille Lassalle, qui "n’a jamais raté une élection", "trouve que la politique est déconnectée du monde agricole".

Catherine et Jean-Pierre Rouanet, éleveurs de brebis : "Les promesses, ça va un moment"

En immersion avant les législatives : parachutage de Poutou, crise agricole, ancrage du RN… dans l’Aude, un sentiment de "chaos"

Jean-Pierre et Catherine Rouanet, éleveurs de brebis laitières pour Roquefort ; “Il y a trop de clientélisme”. Midi Libre – SYLVIE CAMBON

Aux Jouys, sur la commune de Pradelles-Cabardès, Catherine et Jean-Pierre Rouanet, 60 et 61 ans, producteurs de lait pour le roquefort, parlent de ce temps anormalement humide qui complique le fauchage et menace la qualité des balles de paille, de l’envie de retraite. "On aura 800 ou 900 euros chacun, après avoir travaillé 42, 43 ans", râle Catherine. Les enfants ne reprendront pas, il faut vendre.

En attendant, le couple "regarde tout" pour les courses à Mazamet, où chez l’épicier et le boucher ambulants. Tous les jours, le réveil sonne à 3 h 30, il faut traire les 300 brebis avant le passage du laitier. Soixante-cinq heures de travail par semaine. Et si le prix du lait a augmenté, "il y a plus de charges".

"Les politiques, je ne les supporte pas, il y a trop de clientélisme", dit Catherine, ancienne ouvrière chez Buisson à Mazamet, parti depuis au Maroc. Elle gagnait 10 francs la robe de chambre vendue 200 francs. Le 9 juin, elle a tenu le bureau de vote de La Pradelle. Le RN était devant, ce n’est plus une surprise dans ces terres désertées par les services : "L’ophtalmo a pris la retraite, c’est devenu plus simple de caler un rendez-vous à Paris lorsqu’on va voir notre fille. La MSA m’a proposé un bilan buccal mais on va chez qui ? On est dans un désert".

"Les promesses, ça va un moment. Je ne pensais pas qu’on descendrait si bas. Macron ne sait pas ce que vivent les gens", dit Catherine. Pour elle, l’élevage ovin n’a pas "été entendu" lors des dernières manifestations agricoles.

"Je suis modéré, ça m’inquiète les extrêmes", ajoute Jean-Pierre, syndicalisé à la FNSEA qui fait aussi ce constat : "Les grands syndicats agricoles ne nous défendent pas".

Julien Ferrand, directeur de la coopérative Alliance Minervois : "Un ras-le-bol face à l’inaction"

"Le résultat des élections européennes reflète ce que ressent la profession, un ras-le-bol de l’inaction des gouvernements depuis des années, face à l’augmentation de contraintes environnementales et administratives, dans un contexte de baisse des cours du vin. Rien n’a changé après les manifestations de cet hiver", confirme Julien Ferrand, directeur de la coopérative viticole Alliance Minervois.

"On n’a pas vu un seul candidat" aux législatives déplore aussi l’Audois, qui fait état d’un sentiment croissant d’insécurité, "avec les vols de carburant, de matériel, on ne peut plus laisser un engin dehors".

Christophe Malfaz, viticulteur à Lézignan-Corbières : "Le RN n’est pas là par hasard"

En immersion avant les législatives : parachutage de Poutou, crise agricole, ancrage du RN… dans l’Aude, un sentiment de "chaos"

Christophe Malfaz, du domaine Saint-Jaume, à Lézignan Corbières : “Il faut être exemplaire”. Midi Libre – SYLVIE CAMBON

Il ne faut pas se fier à l’étiquette. Au domaine Sainte-Jaume, à Lézignan, la première "micro-cuvée", en 2023, d’un domaine estampillé "bio depuis dix-sept ans", jusqu’ici dédié au négoce, s’appelle "L’insouciance".

C’est Thomas Malfaz, nouveau venu dans l’exploitation de l’AOP Corbières, et joueur de l’équipe de XIII de Carcassonne, comme jadis son père, qui a choisi.

"Je crois qu’on est au bout d’un chemin", constate Christophe Malfaz, un "vrai paysan" qui "a les larmes qui coulent quand le gel touche les vignes". Aujourd’hui, il s’en sort parce qu’il a "travaillé comme une fourmi". Il ne "veut pas parler de politique" : "On ne s’attire que des emmerdes". Il est intarissable. "Le RN n’arrive pas par hasard, c’est le résultat de dizaines d’années de laxisme. Il faut être exemplaire… Maintenant, on y est. Comment on fait ? Si le RN arrive au pouvoir, c’est la guerre civile… Mais vous imaginez qu’on n’a plus de Doliprane ? La France, quand même ! On agresse et on tue les profs, on ne respecte plus la police… L’agriculture aussi, on l’a flinguée. Tu enlèves les perfusions de la Pac, et c’est la fin du sketch", constate le viticulteur, qui a peur de passer pour "un facho".

Les temps ont changé. "Lézignan, c’est toute une vie de gauche. Et un jour, un type d’extrême droite qu’on ne connaissait pas est arrivé au deuxième tour. Il fallait se remettre à travailler. Non, on a continué… Ce n’est pas mon bord mais quand tu vois le maire de Béziers élu avec 70 % au premier tour, chapeau", salue Christophe Malfaz, qui va toujours voter : "Je me demande si ça vaut le coup".

En immersion avant les législatives : parachutage de Poutou, crise agricole, ancrage du RN… dans l’Aude, un sentiment de "chaos"

Guilhem Pedreno, viticulteur à Laure-Minervois : “On milite autrement”. Midi Libre – SYLVIE CAMBON

Guilhem Pedreno, viticulteur à Laure-Minervois : "La politique, j’y crois toujours, je crois moins aux élus"

Avec "L’Engagée", le nom des dernières cuvées, conditionnées dans des bouteilles recyclables, le domaine Prat Majou, 25 hectares "tout en bio" à Laure-Minervois, annonce aussi la couleur.

Si Géraldine, la compagne, a lâché la viticulture et la politique pour prendre l’initiative dans le milieu associatif, "notre fille, adolescente, milite au PS" comme hier ses parents, confie Guilhem Pedreno, 42 ans, dirigeant d’un domaine devenu aussi une des rares entreprises d’insertion du secteur, qui mise de plus en plus sur la diversification pour assurer son équilibre économique parce qu'il est de plus en plus difficile de vendre le vin : un gîte a été aménagé il y a deux ans. Demain, on plantera peut-être une oliveraie, des amandiers.

"On fait du militantisme autrement, on a gardé nos valeurs. Mais que seront les politiques publiques" qui apportent un indispensable soutien aux projets, s’interroge Guilhem Pedreno ? Jusqu’ici, "les solutions apportées à la crise sont complètement à côté du sujet".

Il y a quelques jours, un courrier de la fédération de l’agriculture biologique, qui analyse tous les programmes des candidats aux législatives, et les prises de position passées des partis, est arrivé dans la boîte mail de l’exploitation.

Dans un Minervois "passé de la gauche à l’extrême droite", Guilhem Pedreno sait que les résultats des élections ne se jouent pas que sur ça : "Quand j’avais 20 ans, n’importe quel socialiste était élu. Une situation de crise fait monter les extrêmes. On n’est pas dans un débat d’idées, on vote contre", constate le viticulteur, "inquiet". Croit-il encore à la politique ? "Oui, pour faire bouger les choses, il n’y a que la politique. Mais aux élus, un peu moins".

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