Grâce à Sarah McCoy et Thomas de Pourquery, Jazz à Sète s’est exilé le temps d’une nuit en “Doucedinguerie”

Grâce à Sarah McCoy et Thomas de Pourquery, Jazz à Sète s’est exilé le temps d’une nuit en "Doucedinguerie"

Avec sa pop spatiale à haute teneur en amour, Thomas de Pourquery en a largué quelques-uns mais fédéré plus encore ! J.Be

Mercredi soir, la 29e édition du festival Jazz à Sète accueillait deux artistes parmi les plus singuliers : Sarah McCoy et Thomas de Pourquery. Deux très fortes personnalités aux univers particuliers extrêmement attachants qui ont en commun d’envisager leur art comme une inondation d’amour. Encore !

Il faut pouvoir passer après une double affiche comme celle de mardi, la génie Meshell Ndegeocello et la furie Cory Henry (que nos amis anglophones qualifieraient sans doute respectivement de "elevated soul-jazz" et "ecstatic funk-jazz"… ou l’inverse ?). Sauf que Sarah McCoy et Thomas de Pourquery ne passent pas après, mais ailleurs. Même si c’est toujours au Théâtre de la Mer, dans le cadre de la 29e édition de Jazz à Sète.

Évidemment, avec deux personnalités aussi inqualifiables, aussi insoumises, aussi bouleversantes, l’unanimité n’est pas acquise d’avance, elle se conquiert, comme d’antan on le faisait des cœurs : dans le risque de l’instant sincère. C’est donc dans un Théâtre de la Mer moins dense et moins fan que la veille qu’ils se sont lancés dans ce vide qu’en poètes funambules de l’existence, ils ne craignent pas de braver.

Tripes à l'air et exorcisme de démons dans l'air

Simplement soutenue par Jeffrey Hallam à la basse et aux machines, et Antoine Kernino à la batterie, Sarah McCoy, chanteuse et pianiste américaine installée en France, délivre un set stupéfiant, soul-blues, trip-hop, nu-soul, d’une intensité dingue, presque douloureuse, tenant autant du sacrifice tripes à l’air que de la cérémonie d’exorcisme démons dans l’air. Mais dans tous les cas avec supplément d’humour et de franchise servi in french in the text !

Silhouettée, tatouée et maquillée comme une demi-déesse à la magie ambivalente, tout droit échappée d’un roman d’heroic fantasy, sa beauté hyperbolique inciterait au silence poli jusqu’au plus incontinent des trolls. On la boucle, et on laisse son chant poignant nous cramer les méninges, les nerfs, les poils, les ventricules au fil de torch songs trempées dans le vécu le plus inflammable. C’est sombre et tourmenté, mais allez savoir par quel sortilège, dans le même temps lumineux et enflammé. Écoutez ses albums, Blood siren et High prietess, vous verrez, ça flingue ! Pour autant, au terme de son concert, devant une assemblée conquise, enamourée, c’est elle qui se met à genoux pour remercier… Mais bordel, qui fait ça ?

Décollage immédiat en mode space pop

Thomas de Pourquery aurait pu. Avant le début véritable de son set, il est déjà sur scène, saxophone alto en guise de cravate sur sa chemise à la blancheur romantique, illuminé par le reflet de ses innombrables colliers dorés. Il baguenaude. Vient s’asseoir à côté des uns. Sifflote à l’oreille des autres. Et l’attention de monter, ce faisant. Ses complices peuvent entrer sur le pas de tir : Sylvain Daniel (basse), David Aknin (batterie), Etienne Jaumet (synthé modulaire, saxophone) et Akemi Fujimori (claviers, chœurs). Car pendant son set, il ne va être que question de cela : de décollage, direction plaisir collectif, connectif, mais pas le hâtif, le progressif, le jouissif !

Let the monster fall, c’est le premier morceau, mais aussi le titre du projet qu’il défend ce soir : pop, spécial, spatial. Sous le capot, il y a du jazz mais vous avez déjà une fusée traverser l’espace avec le capot soulevé ? Avec le pop-funk de Prince et le glam-rock de Bowie comme boussoles, Thomas de Pourquery se jette dans l’aventure en se contrefichant des étiquettes esthétiques (vous avez déjà vu la Terre depuis l’espace ? Et les frontières qu’on se plaît tant à y dessiner ?…. Ne le dites pas). On ne va pas vous mentir : les gradins se clairsèment comme les crinières de celles et ceux qui prennent la poudre d’escampette, les mains plus ou moins fichées dans les oreilles. Oui, c’est fort, pas toujours bien équilibré entre les instruments, mais quand on fait du vertige son principe, c’est inévitable, et ce bancal nous oblige à tendre une partie du corps (le reste ne tardera pas à suivre… il paraît que ça s’appelle danser !).

Fabrice Martinez et Camélia Jordana

Si on a croisé l’épatant Stéphane Belmondo backstage, c’est le non moins épatant Fabrice Martinez (et non moins trompettiste) que Thomas de Pourquery invite sur scène à croiser le fer, pardon, le cuivre. Leur dialogue saxophone-bugle est pur bonheur : ces gars-là s’apprécient, se sentent sans renifler, se trouvent à l’instinct et improvisent étincelant. Quel pied ! On le prend dans l’estomac, le pied, l’émotion, tout ce que vous voulez, quand le capitaine de ce vaisseau spatial appelle sa fée spéciale Camelia Jordana.

Notre jovial "Biggy Stardust", notre Totoro qui n’est pas de notre galaxie mais du fond de la nuit, d’aussi loin que l’infini, qui descend jusqu’ici (etc), empoigne son alto tandis qu’elle empoigne notre cœur. Elle chante L’hymne à l’amour d’Edith Piaf, seulement accompagnée par ses improvisations coruscantes. Fille de Karen Dalton, petite-fille de Billie Holiday, sa voix se fiche dans notre ventricule tel une aiguille vaudoue : elle souffle un vers, on verse une larme, elle enchaîne un couplet, on ouvre les vannes. Vous avez déjà pleuré en apesanteur ? On conseille, mais faut accepter l’idée de se mouiller !

Une progression dans la folie chaleureuse

Dès lors, le concert vire bordel d'amour, scène, salle, tout le monde se lâche, sourit, danse, jouit, de l'instant, dès l'instant, c'est beau. Camelia Jordana se régale à faire le choeur comme à disputer le lead vocal avec son hôte, et danse aussi, et sourit aussi. Et le reste du groupe, familier du délire, ne mésestime pas la grâce de la nuit, et danse aussi, et sourit aussi. Thomas de Pourquery se déniche un trio de choristes danseuses dans la foule agglutinée au pied de la scène, et c'est un grain de plus à ajouter au sablier du bon temps qui ne passe pas mais dure !

Il n'empêche, il faudra bien atterrir. Vous vous souvenez de la blague de Desproges, de son "Un jour j'irai vivre en Théorie, car en Théorie tout se passe bien". Mercredi soir, on a fait un séjour en Doucedinguerie, et tout s'y est bien passé. Mais en plus fou.  

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