À Joncels, petit village héraultais de 266 habitants, même les éoliennes ont désormais une adresse
|Le maire, entouré des deux postières qui l’ont aidé à réaliser l’adressage de toutes les voies de sa commune. L.T.
La loi 3DS ne fait pas l’unanimité, notamment dans les hameaux où l’on craint une perte d’identité. Au 1er juin au plus tard, l’ensemble des quelque 35 000 communes de France devront avoir réalisé leur adressage, c’est-à-dire donner un nom à toutes les voies et numéroter chaque habitation. Une révolution toponymique pas toujours simple. La petite commune de 266 habitants, située près de Lodève, avait 97 % de la numérotation de ses habitations à revoir. Le maire a préféré faire appel aux services de La Poste. Récit.
Accéder au Beros Haut, à Joncels, ne relèvera plus du jeu de piste. "C’est une bonne chose, concède le maire Rémy Pailhes. J’ai dû appeler les secours récemment et pour les guider, j’ai essayé de leur indiquer le chemin depuis la route principale, mais l’opérateur ne trouvait pas. Heureusement, ce n’était pas une urgence vitale…"
Juste le nom du destinataire et du village…
Dans ce petit village héraultais de 266 âmes situé sur le plateau de Cabalas près de Lodève, comme dans bon nombre de communes rurales, il y avait jusque-là peu d’adresses précises. Des rues sans numéro, des hameaux ou lieux-dits..."Parfois même, sur certains courriers, il y avait juste le nom du destinataire et celui du village. Il faut dire que le facteur connaissait tout le monde", poursuit l’édile, élu ici depuis 1978. Joëlle Pelletier confirme. Pendant six ans, elle a été la factrice de Joncels. "J’ai dû apprendre à connaître chaque maison, chaque habitant", se souvient-elle.
Voilà qui est fini. Quelques années plus tard, la postière a arpenté à nouveau les rues, chemins et hameaux joncelois, mais dans de nouvelles fonctions, avec un plan dans les mains pour compléter l’adressage du village. Autrement dit : dénommer et numéroter chaque voie, une obligation depuis le vote par le Parlement, le 8 février 2021, de la loi 3DS. Les villes de plus de 2 000 habitants devaient avoir effectué ce travail avant le 1er janvier 2024, les autres ont un délai de six mois, jusqu’au 1er juin. Heureusement sans sanction pour l’instant pour les contrevenantes. "Dans le département de l’Hérault, 160 communes (sur 342, NDLR) ont une qualité d’adressage jugée moyenne", dévoile Joëlle Pelletier.
Le chiffre : 8,4 %
C’est, selon la Poste, le pourcentage de voies en France (soit 202 951 voies) qui restaient non numérotées à la fin de l’année 2023. Un taux en nette progression (19 % fin 2019, 15 % fin 2021), mais il reste du travail. Seules 43,8 % des communes de moins de 2 000 habitants et 57,8 % de plus de 2 000 habitants ont réalisé une première mise à disposition de leur “Base adresse locale”, comme le réclame la loi 3DS.
Secours et fibre optique
L’ancienne factrice est désormais "référente adresse" de La Poste pour le secteur Ouest Hérault. C’est à elle que bon nombre de maires font appel, comme l’a fait celui de Joncels afin de se mettre en conformité avec la loi. "Nous aurions pu le faire nous-même puisque ce sont les communes qui en ont la compétence, mais c’est un travail complexe. On s’est donc tourné vers les experts", glisse Rémy Pailhes.
Le service postal a un coût, plus ou moins onéreux selon la taille de la ville ou du village, selon les options – le service va jusqu’à la fourniture de panneaux -, mais cela permet aux conseils municipaux de délibérer ensuite en toute sérénité sur cette révolution toponymique, devenue plus que nécessaire pour les habitants. "Cela facilite et accélère l’arrivée des secours, c’est indispensable pour permettre le branchement à une connexion internet haut débit et ça évite d’avoir des camions de livraison qui tournent dans tous les sens dans le village", énumère le maire. Ces dernières années en effet, les ventes en ligne n’ont cessé d’augmenter, à Joncels comme partout en France, et ce n’est pas toujours le facteur du coin qui livre ces colis.
Diagnostic, délibérations, système métrique…
Au printemps dernier, à l’aide du plan cadastral et des outils numériques de géolocalisation, Joëlle Pelletier a donc d’abord réalisé un diagnostic. "Cela a permis de déterminer qu’une vingtaine de voies sur 60 n’avaient pas de noms, que la plupart des autres présentaient des défauts de numérotation et surtout que 97 % de points adresses étaient non numérotés", se rappelle-t-elle.
Le travail a commencé par un diagnostic de l'adressage du village avant de réaliser les opérations. Trois mois auront été nécessaire. L.T.
Le conseil municipal a alors dû baptiser, par délibération, les voies jusque-là anonymes. "La Poste avait la possibilité de nous proposer un catalogue de noms, mais on a préféré des références à l’histoire du village, voire propres à chaque voie", raconte le maire. Les routes ou chemins qui mènent aux différents hameaux ont par exemple pris leur nom, ce qui a permis de garder l’identité des lieux et éviter des contestations comme dans d’autres villages.
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Au… 9 990
Une fois cette étape passée, le plus dur restait à faire : numéroter chaque habitation, mais aussi tout lieu appelé à recevoir du public afin de faciliter la venue des secours si besoin. L’église, le cimetière… "Et même les éoliennes, on en compte une quarantaine sur le territoire communal".
Pour ce travail, c’est le système métrique qui prévaut. "Cela consiste à définir un numéro de voie en fonction de la distance – en mètres – qu’elle occupe par rapport au début de la rue ou du chemin", détaille Joëlle Pelletier. "Cela permet d’intercaler facilement des numéros en cas de nouvelle construction", surtout en milieu rural où on peut trouver des habitats dispersés sur de longues, très longues voies. Un Joncellois a ainsi hérité, Route de Ceilhes, du numéro… 9 990. "Cela aurait pu être plus, mais la réglementation ne permettant pas un numéro à cinq chiffres, on a dû décaler le début de la voie de quelques mètres".
Et la perceuse…
Ce travail de dentelle a occupé les services de La Poste et le maire pendant plus de trois mois. Une fois effectué, Joëlle Pelletier et sa collègue Stéphanie Choquet ont officiellement publié la "base adresse locale" de Joncels, certifiant ses voies dans la "base adresse nationale". Restait le 22 janvier, une dernière délibération à adopter, "l’achat d’une perceuse à percussion", indique le maire, pour permettre à l’employé communal de poser la soixantaine de plaques commandées un mois plus tôt. Parmi celles-ci, celle indiquant le chemin du Beros Haut, du nom du hameau, où les GPSènent désormais sans avoir à appeler monsieur le maire.
Pourquoi une telle obligation ?
Cinq impératifs ont conduit l’Etat à exiger des communes, compétentes en la matière, qu’elles réalisent et publient chacune leur "base adresse locale" au sein de la "base adresse nationale". Cela permet d’abord de certifier l’adresse de chaque habitation, qui doit obligatoirement comporter un numéro, un type de voie (chemin, impasse, route, rue, avenue, boulevard, place…) et, pour celle-ci, un nom unique dans la commune (ce qui impose, lors de regroupements de deux villes ou villages, de rebaptiser certaines rues pour éviter des doublons). Avoir une adresse type est obligatoire, pour les habitants, pour effectuer la moindre démarche administrative en ligne (impôts, carte d’identité, carte grise, etc.). À l’heure du numérique, surtout, les opérateurs télécoms ont aussi besoin d’une adresse type pour connaître l’éligibilité d’un foyer à la fibre optique et le raccorder au réseau. Enfin, publier la base adresse locale garantit que chaque lieu sera reconnu par les GPS : c’est utile pour recevoir les livraisons de produits commandés en ligne (en progression de 20 % en 2023 en France) ; indispensable pour être secouru par les pompiers ou le Samu. La loi prévoit que le travail d’adressage devait être réalisé au 1er janvier 2024 pour les communes de plus de 2 000 habitants et doit s’achever avant le 1er juin dans les villages de moins de 2 000 habitants. Ce sont les préfectures qui avalisent les délibérations des mairies relatives à la définition des noms de voies constituant le plan d’adressage local ; instruisant les dossiers de demande de subvention sollicités pour réaliser les plans d’adressage municipaux ; demandent des adresses de qualité aux communes, ce que peut aussi faire le Département au titre du service départemental d’incendie et de secours.
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