Aigoual, Aubrac… des stations de ski pourraient ne pas ouvrir cet hiver : chronique d’une mort annoncée ?

Aigoual, Aubrac… des stations de ski pourraient ne pas ouvrir cet hiver : chronique d’une mort annoncée ?

La station de l’AIgoual a pu ouvrir ses pistes onze jours seulement l’hiver dernier. M.A.

La station de l‘Aigoual a ouvert une cagnotte, un appel à l’aide pour espérer passer l‘hiver. Elle peine à trouver un modèle économique à l’année qui lui permettrait de survivre. Elle n’est pas la seule…

"Alti-Aigoual a besoin d’un deuxième coup de pouce". Cinq ans après avoir sollicité l’aide du public une première fois, les gestionnaires de la station de ski du mont Aigoual ont rouvert une cagnotte en ligne pour trouver des financements leur permettant de "passer l’hiver". Via le site Leetchi.com, ils espèrent récolter "20 000€". La somme pourrait prêter à sourire, comparées aux dizaines de millions d’euros dont disposent les grandes stations des Alpes pour leur seul budget de fonctionnement (31M€ à Megève par exemple), pourtant, "sans cet argent, les remontées mécaniques ne tourneront pas cette saison, même s’il neige beaucoup", prévient le gestionnaire Denis Boissière.

La faute à pas de chance

Depuis qu’il a récupéré la délégation de service public de la seule station de ski du Gard, en 2019, le déficit s’est creusé jusqu’à atteindre 400 000 € aujourd’hui. La faute à pas de chance, plaide-t-il. Il y a d’abord eu l’hiver le plus chaud de l’histoire, puis le Covid, l’explosion des factures d’énergie et – au sens propre – de leur usine à neige artificielle, sans oublier des flocons capricieux qui, quand ils acceptent de tomber, ne le font pas au bon moment. "Nous n’avons pu ouvrir seulement onze jours l’hiver dernier, quand il en faudrait 25 à 30 dont la moitié en période de vacances scolaires pour équilibrer la saison", souffle-t-il.

Et pourtant, pour réduire les coûts, il s’est démené pour récupérer le matériel de grandes stations dont certaines acceptent même d’envoyer des agents pour entretenir les pistes. Pour "contrôler le déficit", il a procédé au licenciement de ses salariés permanents cet été et ne fera appel désormais qu’à des CDD. Il essaye par ailleurs de négocier des indemnités auprès de la communauté de communes Causse Aigoual Cévennes, collectivité qui lui délègue la gestion, pour des travaux promis sur le bâti et non réalisés ce qui, dit-il, "a freiné nos projets".

La transition vers le quatre saisons

Perchée à 1 440 mètres d’altitude sur les contreforts des Cévennes, Alti Aigoual incarne ces stations de moyenne montagne condamnées à se réinventer pour survivre dans ce contexte de réchauffement climatique qui rend l’or blanc encore plus rare. En mars, la chambre régionale des comptes d’Occitanie conseillait d’ailleurs "de diversifier l’activité en allant vers du tourisme quatre saisons".

Ce concept est loin d’être nouveau, il est pratiqué avec plus ou moins de bonheur sur tous les sommets français. Sur l’Aubrac, on y travaille même depuis 2016. "C’est un projet que nous avons lancé en commun avec les autres stations de Bonnecombe, Nasbinals, Brameloup et Saint-Urcize, dans le cadre d’un appel à projets Pôle Nature. L’idée, c’est d’être complémentaire et de travailler (la communication) sur la destination commune de l’Aubrac", détaille le maire de Laguiole Vincent Alazard.

Une piste de luge à 3M€

L’exercice n’est toutefois pas aisé. L’avis de marché public pour la réalisation d’une piste de luge quatre saisons n’a été publié qu’en août dernier. "Et nous sommes, des cinq stations, parmi les plus avancées". Et un tel investissement est lourd, "3 M€" selon un connaisseur du dossier, il aboutirait au mieux "fin 2025 – début 2026". Or, ici aussi, il y a urgence. "Il est de plus en plus difficile de maintenir une station de ski, avec cette neige devenue si aléatoire. Le déficit de la saison 2023-2024 s’est avéré tellement important que nous ne savons pas encore si nous allons ouvrir cet hiver", prévient Vincent Alazard. L’an dernier déjà, ce n’est que fin novembre qu’un accord avait été trouvé avec le prestataire de services. Mais l’édile veut croire qu’il y a encore un avenir à tracer dans la poudreuse.

L’Association pour la promotion de la station de ski de Laguiole (APSL) en est aussi persuadée, au point d’avoir proposé, armée de nombreux bénévoles motivés, de reprendre la gestion de la station, "comme cela a été fait il y a une vingtaine d’années", rappelle le co-président Mathurin Chauffour. Pour l’instant sans réponse. Celui-ci se veut pragmatique, imagine juste le maintien de l’existant pour profiter de la neige quand elle tombe, et de se servir des remontées mécaniques pour d’autres activités le reste du temps. Ce week-end, la fédération française de ski vient d’ailleurs faire une démonstration de ski… sur herbe. "On pense aussi au biathlon, aux trottinettes, à des randonnées, des sorties naturalistes…" La piste de luge d’été a moins la faveur de l’association car jugée trop dispendieuse pour le lieu. "Il n’y en a pas beaucoup qui sont rentables".

Le "non" du Parc national des Cévennes

Sur l’Aigoual, Denis Boissière considère pourtant qu’il faut des activités phares pour attirer, puis retenir le public. Lui, dès 2019, a rêvé d’une tyrolienne géante et d’un bike park, c’est-à-dire des circuits de VTT descente tracées sous les remontées mécaniques, lesquelles permettraient de remonter. "Notre rentabilité était basée sur ce projet. On nous avait dit oui, avant de nous interdire tout ce qui permet de tracer les pistes, c’est-à-dire uniquement des modules en bois et la création de virages", peste-t-il. "On", c’est le Parc national des Cévennes qui s’est trouvé dans le viseur d’une manifestation de 200 personnes sur l’Aigoual mi-septembre, accusé de freiner, ici comme sur le mont Lozère voisin, tout projet de développement.

Aigoual, Aubrac… des stations de ski pourraient ne pas ouvrir cet hiver : chronique d’une mort annoncée ?

Quelque 200 personnes ont manifesté, mi-décembre, sur l’Aigoual pour réclamer un assouplissement des règles du PNC.

Si certains élus étaient présents, Gilles Berthezene, président de Causse Aigoual Cévennes embarrassé par ce dossier, n’y était pas. Tout en admettant que "la réglementation du PNC doit évoluer", que le ski a jadis permis le développement de la vallée, lui planche plutôt sur un tourisme raisonné qui ne serait plus centré sur la glisse. "On a présenté une stratégie au nouveau directeur du Parc qui l’a accueillie favorablement", assure l’élu. Sans se prononcer pour l’instant sur le mode de gestion de la station après 2029, année qui verra prendre fin la délégation.

« 20 % de chance… »

Alti-Aigoual ira-t-elle de toute façon jusque-là ? "Si on n’ouvre pas cet hiver, on va creuser le déficit, on est mort. Et il y a 20 % de chance, aujourd’hui, qu’on ouvre", concède Denis Boissière. Avant de se relever. "Mais je n’ai jamais abandonné", prévient-il, espérant porter son dossier jusque dans les ministères dans l’espoir de lever des barrières. Il faut toutefois, avant, clôturer la cagnotte pour lancer les travaux de préparation de la saison. Elle plafonne pour l’heure à 6 370 €.

Le directeur du PNC : “Il faut un modèle plus robuste”

Vincent Cligniez est le nouveau directeur du Parc national des Cévennes. Il était présent à la manifestation sur l’Aigoual pour exprimer le point de vue de son institution. Entretien.

Vous êtes allés à la rencontre de manifestants défendant le projet de développement de la station de ski de l’Aigoual. Que leur avez-vous dit ?

J’ai discuté librement avec eux et je leur ai dit deux choses. La première, c’est certes contradictoire avec la vision d’un entrepreneur, c’est que nous avons une station de ski qui se trouve au milieu d’un massif sur lequel on trouve des sentiers de randonnée sur un territoire reboisé, ce magnifique objet qu’est le Climatographe et qui présente les enjeux du réchauffement climatique, des villes, des agriculteurs… Autant d’éléments qui nécessitent un projet global et pensé collectivement. Et celui-ci doit être vu en essayant de se projeter dans un monde dans lequel on n’est pas certain, aujourd’hui, de savoir ce qui va se passer. C’est-à-dire qu’il faut qu’on apprenne à changer sans savoir vers où on va. C’est angoissant mais aussi particulièrement motivant de se dire qu’on a le monde de demain à inventer.

C’est-à-dire, pour une station de ski, où la neige se fait plus rare ?

Les exemples que l’on a autour de nous montrent que le modèle de station, même transformé en quatre saisons, doit être plus résilient. Plus robuste. Ça veut dire des petites actions plutôt qu’une grosse qui, si elle tombe, fait tomber tout le système. Il faut sortir du culte de la performance économique.

Au-delà des questions de protection de la nature, vous ne croyez donc pas à un bike-park ou à une tyrolienne géante ?

Je comprends les difficultés d’une société qui s’est investie, qui a fait un super boulot, qui est allé chercher des dameuses et des produits de réforme des autres stations de ski, qui a mis en place une solidarité. Mais, encore une fois, tout miser sur une activité, c’est l’ancien modèle. On le voit avec le manque de neige qui ne permet plus de faire vivre la station en hiver. Cela peut arriver demain si les coûts de maintenance ou de fonctionnement d’un bike-park obèrent son utilisation. Or, son aménagement pour tracer les pistes, forcément impactant sur la nature, aura peut-être aussi grevé ce qu’on peut faire pour un écotourisme.

On reproche souvent au PNC de se réfugier derrière la réglementation pour bloquer des projets. Que répondez-vous ?

Le Parc n’est pas un empêcheur de développer des projets. D’ailleurs, la station de ski n’a pas été fermée en 1970 lors de la création du PNC. Au contraire, il a apporté des choses sur le territoire, des dotations supplémentaires, le développement de l’agro-pastoralisme, le classement Unesco… Après, oui, il y a des règles qui sont là pour fixer des jalons et protéger la nature. Mais le Parc a aussi ce devoir d’avoir une vision, d’être moteur pour une réflexion collective sur l’avenir du territoire. On ne fait pas de la mise sous cloche, bien au contraire.

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