Ce vélo centenaire appartenant au père de Suzanne qui a permis de fuir le bombardement de Montpellier
|Le vélo qui est resté des années dans le jardin de Suzanne avant d’être confié à des passionnés. S. B.
La Montpelliéraine Suzanne Blanc a confié le vélo de son père à des passionnés de vieux biclous pour qu'ils lui redonnent une seconde jeunesse. Voici son histoire.
Le 5 juillet 1944, des avions américains bombardèrent les infrastructures ferroviaires du Languedoc, tuant un millier d’Allemands et de nombreux civils. La gare de triage des Près-d’Arène où étaient stationnés deux trains militaires allemands transportant soldats, munitions et essence, fut un des principaux sites visés.
"À chaque fois qu’il y avait les sirènes, toute la famille évacuait à vélo", explique Suzanne Blanc, qui a recueilli le témoignage de sa grande sœur, alors âgée de 15 ans, qui habitait à proximité avec ses parents et grands-parents.
"Ce jour-là, c’était la panique totale. Mon père était tombé de vélo en fuyant, ma grand-mère ne suivait plus. Ma mère parlait de chapelets de bombes tombant du ciel. Ils s’étaient réfugiés dans un fossé. Quand ils se sont relevés, il y avait des morts de l’autre côté de la route. Ma famille s’était retrouvée dispersée, mais ils étaient indemnes."
Des souvenirs de vie
Petite, Suzanne se souvient que son père l’emmenait à la plage sur son vélo, "dans une corbeille coupée en deux, en guise de siège posée sur le porte-bagages."
"Quand mes parents sont partis habiter à Lattes, qui était un tout petit village en 1946, ils ont repris le café face à la mairie, auquel ils ont ajouté une épicerie, poursuit la retraitée. Le vélo était leur seul mode de déplacement. Ils allaient à Vauvert voir leurs cousins, à Marsillargues chez la mère de mon père, à Baillargues faire la fête…"
Sous la selle, une fixation témoigne qu’une carriole à deux roues était souvent attachée derrière le vélo. "Mes parents allaient au marché à Montpellier, place de la Préfecture. Ils mettaient la glace dans la toile de jute pour conserver la fraîcheur des produits qu’ils ramenaient pour eux et pour leurs clients."
Aujourd’hui âgée de 78 ans, Suzanne a extrait le vélo de l’abri de jardin où il dormait depuis belle lurette. Elle l’a donné à Corentin Le Bris et Alice Hermet, qui tiennent la boutique Cycle & Re-cycle, face à la station de tram Albert 1er. Ceux-ci l’ont aussitôt confié aux bons soins de Sacha Soultanian. Âgée de 118 ans, la petite reine s’apprête à connaître une seconde jeunesse.
Sacha est admiratif du vélo qui appartenait au père de Suzanne. "Il est en bon état, constate-t-il. Les vélos de cette époque étaient très résistants, avec un cadre en acier et un tube plus épais qu’aujourd’hui."
La plaque. G. R.
“Montpellier Automobile”, du vélo à… l’avion !
Sur le vélo de Suzanne, datant de 1906, impossible de rater la plaque “Montpellier Automobile” qui figure sur le cadre. Il s’agissait d’un garage situé au 56 avenue de Toulouse et qui a disparu depuis bien longtemps. On y réparait les vélos, mais aussi les motos et les voitures. Deux succursales étaient situées à Montpellier (rue Maguelone) et Nîmes.
Mais c’est surtout l’identité de ses propriétaires, Joseph Faulquier et Gaston Jamme, qui est restée dans l’histoire. Avec Gaston Tabar, ils avaient créé la Société d’Aviation méridionale.
Dans un courrier adressé au maire de Villeneuve-les-Maguelone, en juin 1911, ils avaient demandé l’autorisation de louer un terrain communal de 100 ha au Thôt, en bordure de l’étang de l’Arnel, pour y installer un terrain d’aviation. Ce qui fut réalisé en novembre de la même année !
Mais si la Grande Guerre sembla ouvrir une voie dorée aux pionniers de l’aviation, l’aérodrome, qui était le seul autour de Montpellier, ferma en 1927. “Montpellier Automobile” disparut quelque temps plus tard.
Il énumère les pièces d’époque : "Les moyeux à graisseurs à l’avant et à l’arrière qui permettaient de lubrifier directement les roulements, la fourche fermée caractéristique des vélos d’avant 1910, les haubans boulonnés directement à la tige de selle, ce qui se faisait jusqu’aux années 1920."
"Je vais le démonter complètement, nettoyer les pièces, tout vérifier, regraisser les parties à frottement (boîtier de pédalier, axes de roue, jeu de direction), refaire le rayonnage des roues. Pour retrouver l’esprit du vélo d’antan, il faudra aussi enlever les pièces ajoutées au fil du temps (le phare dans les années 40, la selle, la dynamo, les pédales qui avaient été réparées avec du fil de fer, le guidon, la pompe…). Il suffit de gratter la rouille en surface pour le faire rouler. Ça représente vingt à vingt-cinq heures de travail."
Je m’abonne pour lire la suite