“J’ai le sentiment qu’il y a eu des choix politiques” : Alex Vizorek livre le fond de sa pensée sur l’évolution de France Inter
|Alex Vizorek, l’un des humoristes les plus en vue. Laura Gilli
C’est l’un des humoristes les plus en vue de la scène francophone, ancienne figure de France Inter, désormais sur RTL et dans Télématin. Entretien avec Alex Vizorek, attendu avec "Ad Vitam", le 12 octobre, à 20 h, à Montpellier, au Corum. Un spectacle salué par la critique.
Vous êtes attendu le 12 octobre à Montpellier avec votre spectacle, "Ad Vitam", salué par la critique, vous vous emparez de l’ultime tabou, la mort, comment ce thème s’est-il imposé à vous ?
Je me suis demandé quelle serait la thématique la plus difficile pour un spectacle d’humour… Cela permet de parler philosophie, religion, art, ou de la petite mort, la sexualité.
Je parle aussi de l’utilisation qu’on peut faire désormais des cendres, par exemple en les plaçant dans des sextoys. Comme ça, votre conjoint peut continuer à s’amuser, sans vous mais un peu avec vous, c’est une invention hollandaise. En Espagne, on peut les mélanger à des feux d’artifice, on part comme ça en fête, c’est plus ce genre de choses que je choisirais.
Trois bonnes raisons d’aller voir votre spectacle ?
Parce qu’on a besoin de rire en ce moment. On ressort moins con, enfin c’est ce qu’on me dit. Et parce que je ne suis jamais venu à Montpellier, j’y vais une fois tous les quinze ans, alors profitons-en !
Quel est votre rapport à la mort ?
Si j’y consacre cinq ans de ma vie avec ce spectacle, c’est que j’ai quand même une petite angoisse… Le jour où il m’arrivera quelque chose, on pourra toujours se dire que j’ai ri de la mort pendant des années et que j'étais apaisé avec ça, en me faisant l’honneur aussi de rire de mon départ.
Je fais partie de ces gens qui espèrent vivre longtemps, j’aime énormément la vie, mais la mort arrivera un jour, c’est la seule certitude qu’on a, c’est bizarre d’en faire un tabou.
D’où votre choix, vous l’évoquiez dans Quotidien, d’en rire aussi dans votre vie personnelle ?
Oui par exemple, quand je vais avec ma grand-mère à des funérailles, elle aime s’installer devant, chaque fois je lui dis, tu seras peut-être encore mieux placée la prochaine fois. Ça la fait rire.
Et vous, quelle épitaphe aimeriez-vous voir inscrite sur votre tombe ?
"Passez quand vous voulez, je ne bouge pas."
Vous avez fait le deuil de votre période France Inter, quittée l’an dernier pour RTL après l’arrêt de votre quotidienne avec Charline Vanhoenacker. Que vous inspire son évolution ?
Je suis parti au bon moment. Je suis un peu triste de la façon dont ça s’est terminé. Que les lignes politiques soient plus prégnantes par périodes, c’est le jeu des médias publics, on nous a ouvert le micro douze ans, ce n’est pas un problème de censure. D’ailleurs, tant qu’on ne contrôle pas les réseaux sociaux et les médias privés, on ne peut pas faire taire des gens.
Mais ça fonctionnait, ils ont mis autre chose, ça n’a pas marché. J’ai le sentiment qu’il y a eu des choix politiques. Je sais, en tant qu’auditeur, ce que je l’écoute. Il y a encore des gens qui font du super boulot. Charline est toujours là, personne ne relit son papier, elle dit ce qu’elle veut. Mais j’ai du mal à comprendre les choix de la direction.
Notamment en ce qui concerne le licenciement de Guillaume Meurice en juin, après sa blague réitérée sur le Premier ministre israélien ?
Oui, j’ai compris tout de suite qu’il y avait un problème lorsqu’ils nous ont mis le dimanche en nous donnant une explication foireuse. Je me suis dit si c’est ça, je ne vais pas rester. Les humoristes doivent travailler dans un climat de confiance. C’est ce que j’avais dit aux autres : on ne sera plus protégés, ça les arrangera quand il y aura un problème, ils ne vont pas nous aider. J’avais raison.
À un moment, les bandes explosent, ça arrive partout, Mais la façon dont ça s’est passé, j’ai trouvé ça louche, donc puisque vous me posez la question, je l’ouvre.
Quelle leçon tirez-vous de cette affaire ? Que dit-elle de la liberté d’expression des humoristes aujourd’hui ?
Quand on veut être totalement libre, il faut accepter les tempêtes politico-médiatiques. Tout le monde avait un avis sur cette blague de Guillaume Meurice, comme Xavier Bertrand qui s’est senti obligé de donner son avis alors qu’il ne savait même pas de qui il parlait. Les émissions d’actualité, CNews en tête, en ont fait des journées complètes, Hanouna derrière, les réseaux sociaux… Donc si vous voulez vraiment dire absolument ce que vous voulez, il faut mettre des œillères et fermer tous les réseaux.
Mais bon, ça a toujours été un peu comme ça, Jean Yanne s’était fait virer dans les années 70 du service public parce qu’il avait fait un sketch en mettant Napoléon sur un vélo, et à l’époque il n’y avait pas autant de chaînes, donc on a quand même bien avancé en matière de liberté d’expression.
L’équipe belge du "Grand cactus", sur RTBF, vient, elle, de faire amende honorable après un sketch jugé transophobe sur Indochine…
Ce sont tous mes copains, j’ai commencé avec eux. De la même manière que Guillaume Meurice n’est pas antisémite, je sais qu’ils ne sont pas transphobes. Parfois vous pouvez faire un sketch qui blesse, une blague ratée, je ne dis pas que c’était le cas, en tout cas il n’y a pas mort d’homme. Mais tout le monde juge, c’est toute la difficulté de l’exercice. Si Guillaume ou le "Grand cactus" avaient fait leur blague sur scène personne n’aurait rien dit. Je pense que l’émission continuera, elle est super.
J’ai dit à l’équipe du "Grand cactus" : "Éteignez votre téléphone pendant 3-4 jours et ensuite vous verrez que tout le monde sera passé à autre chose." Les médias, parfois, c’est le café du commerce géant.
Regrettez-vous parfois certaines séquences ?
Oui quand les gens n’ont pas compris. Cela veut dire que je n’ai pas été assez clair. Il faut faire attention aussi à ne pas être repris politiquement. J’ai vu que Florian Philippot avait réagi à la polémique du "Grand cactus" en disant que la liberté d’expression était menacée, je pense qu’ils auraient préféré être soutenus par quelqu’un d’autre…
Vous vous fixez des lignes rouges ?
Non, c’est un peu au ressenti, sur scène à la radio, à la télé, ou en presse écrite, ce n’est pas le même public. On ne fait pas les mêmes blagues avec son copain ou avec sa grand-mère.
Avez-vous changé donc de ton, en changeant de station ?
J’ai changé 20 % de mon travail, je sais que je peux faire des références plus populaires sur RTL, je peux parler par exemple plus de sport parce que davantage d’auditeurs aiment ça.
Vous n’avez pas reçu d’instructions sur l’une ou sur l’autre des stations ?
Personne ne relit mes textes, je dis ce que je veux. Si on se fait engueuler, c’est après, mais c’est très rare, ça ne m’est pas encore arrivé ici, à France Inter très peu. Parfois, on vient nous dire qu’on aurait dû faire gaffe, parce qu’on tape toujours sur les mêmes, ou on a été maladroit. Mais personne ne m’a censuré.
D’ailleurs, aujourd’hui s’il y a un problème, on écrit notre version des faits sur les réseaux sociaux. L’industrie des médias doit tenir compte de ça. Ils savent qu’ils ne peuvent pas nous museler. S’ils veulent des comiques, il faut leur donner la liberté. Regardez sur CNews, il n’y a pas de comiques.
Vous passez au crible l’actualité tous les jours sur RTL. Dans l’art délicat de la coalition la France a encore beaucoup à apprendre de la Belgique qui est restée trois ans sans gouvernement…
J’ai beaucoup ri. Vous étiez beaucoup moqué de nous parce qu’on n’avait pas de gouvernement à l’époque. Vous avez mis du temps à faire le vôtre…
Si vous voulez faire un grand papier sur le compromis en politique, je peux réintervenir ! En Belgique, nous sommes plus apaisés, au moment où le gouvernement arrive, vous ne savez même plus pour qui vous avez voté. Et vous avez toujours l’impression d’avoir un peu gagné, car il y a beaucoup de partis dans le gouvernement.
En France, vous venez de découvrir qu’il fallait se mettre autour d’une table. L’idée de ne pas avoir encore de gouvernement a angoissé les Français, ils avaient l’impression d’être un pays en guerre.
Je mise beaucoup, moi, sur la nouvelle ministre de l’Éducation, Anne Genetet. On était très tristes de perdre Amélie Oudéa-Castéra qui était une source de drôlerie inépuisable.
Vous êtes l’un des humoristes vedettes de RTL avec Philippe Caverivière. Votre émission commune, "En Bande organisée", n’a pas été reconduite, cette saison, sur France 2. Si c’était à refaire, qu’est-ce que vous changeriez ?
Tellement de choses et si peu de choses. Ni lui ni moi n’avions eu jusqu’ici une émission à driver. On s’est peut-être laissés porter. On aurait pu réaliser plus tôt qu’il y avait des choses sur lesquelles on était moins bons.
On avait quand même fédéré des gens, mais on en a aussi déçu d’autres qui nous aimaient beaucoup seuls. Pourquoi leur plaisait-on moins à deux ? Nous nous sommes posés nous aussi la question.
Cela passait aussi à un horaire compliqué et pas toutes les semaines, les gens n’ont peut-être pas eu le temps de s’habituer.
Mais on s’est bien entendus avec Arthur (producteur, NDLR) et on a appris notre métier télévisuellement parlant.
Et France Télévisions croit quand même en nous : on va faire une émission début janvier, une rétrospective de l’année, avec un peu de fiction. On aimerait l’enregistrer dans un théâtre, on est en train de monter ça avec Philippe Caverivière et la même production.
Côté projets, je vais sans doute revenir aussi avec un nouveau spectacle l’année prochaine.
Une question plus personnelle pour finir : vous avez annoncé souffrir d’anosmie (perte totale d’odorat), cela vous joue des tours ?
Cela a l’air anodin, mais ça vous met dans une autre bulle. Je n’ai jamais rien senti, je n’ai donc aucune bibliothèque olfactive dans mon cerveau qui me relie à des souvenirs.
Je ne sens pas les mauvaises odeurs dans le métro, je peux fumer un cigare dans ma chambre sans ouvrir la fenêtre et j’évite de prendre un logement doté d’une plaque chauffante au gaz, car s’il y a une fuite, je ne la sentirais pas, je suis perdu.
Alex Vizorek se produira dans "Ad Vitam", le 12 octobre, à 20 h, à Montpellier. Le Corum, salle Pasteur. Renseignements et réservations ici.
Alex Vizorek se produira ensuite au thépatre Molière de Sète, le 24 octobre, à 20 h, avec le musicien Pascal Contet dans "Fou de sport". Renseignements et réservations ici.
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