La chanteuse iconique François Hardy s’en est allée mais comment lui dire adieu ?

La chanteuse iconique François Hardy s'en est allée mais comment lui dire adieu ?

La chanteuse iconique François Hardy s'en est allée mais comment lui dire adieu ?

Françoise Hardy, ici à Londres en 1971, est une icône paradoxale, à la fois populaire et sibylline. MAXPPP MAXPPP / KEYSTONE Pictures USA – KEYSTONE Pictures USA

Icône absolue de la pop culture, et chanteuse remarquable dont l’aura voilée de mélancolie n’a jamais pâli en cinq décennies de carrière, Françoise Hardy s’est éteinte le 11 juin à l’âge de 80 ans. Retour sur son histoire, son oeuvre, sa légende…

Un coup de foudre, ça ne s’explique pas, ça se chérit et ça ne s’oublie pas. Jamais. C’est un dimanche d’octobre 1962, le 28, que la France entière a le coup de foudre pour Françoise Hardy.

Ce soir-là, tout le pays attend devant son poste de télévision les résultats du référendum de Charles de Gaulle qui doit consacrer l’élection du président de la République au suffrage universel. Mais avant que de savoir qu’il a dit oui, il dit oui à Françoise Hardy : pendant le dépouillement, elle intervient dans un interlude musical et interprète Tous les garçons et les filles.

La chanson figure sur son premier super 45-tours, sorti en juin de la même année. Vogue, son label, lui a donné Oh oh chéri, une agréable niaiserie écrite par les auteurs attitrés de Johnny Hallyday, elle a placé trois de ses compositions : Il est parti un jour, J’suis d’accord… et donc, et surtout, Tous les garçons et les filles. Les plus sagaces l’avaient repérée un peu plus tôt dans le télécrochet Le petit conservatoire de la chanson dirigé par Mireille qu’elle a suivie deux ans, mais la pâmoison au suffrage universel, c’est ce soir-là.

1962 : Françoise Hardy devient l'idole d'une génération

Un coup de foudre qui vaut autant pour la chanson que la demoiselle, toutes deux, dirait-on aujourd’hui "disruptives". Quand en effet la plupart de ses futurs coreligionnaires yéyés hoquettent leur fureur de vivre en gigotant allègrement dans tous les sens, elle susurre une ballade mélancolique évoquant l’éveil d’une jeunesse dont elle se sent un peu exclue.

De même, elle impose à son corps défendant (et c’est le moins qu’on puisse dire) un nouveau canon de beauté : Marilyn Monroe vient de disparaître, Brigitte Bardot est à l’acmé d’elle-même, au-delà du réel donc, l’époque fantasme encore le girond, le pigeonnant, l’incendiaire… et voilà soudain une silhouette gracile, naturellement allurée, sans ostentation, qui planque derrière sa frange le plus sublime des minois, traits purs, saillants, bouche charnue, regard franc, brillant… Une beauté d’une modernité telle qu’elle traversera le temps, bouleversante toujours de n’être proclamée jamais.

Enfin, bref, dès le lendemain de cette épiphanie cathodique, son succès devient massif et fin 1962, Françoise Hardy est devenue la nouvelle idole de toute une génération, incarnation diaphane du spleen juvénile quoiqu’éternel. Mais ce n’est en aucun cas une revanche, ni même une victoire pour la timide jeune femme.

"Ils étaient amoureux de mon image mais ils ne connaissaient pas mes chansons"

Née le 17 janvier 1944 à Paris, Françoise Hardy a grandi avec sa sœur Michèle, de dix-huit mois sa cadette, dans un petit appartement du IXe arrondissement. Sa mère les a élevées seule, avec son maigre salaire d’aide-comptable. Leur père qui les a reconnues tardivement, a été guère présent, voire invisible, et sa grand-mère maternelle qui l’a aussi élevée a été stricte, voire rosse. Bref, son enfance n’a pas été tendre, et cela a sans doute contribué à sa personnalité complexée, hyper sensible et romantique. Élève brillante, intello pourrait-on dire, promise à des études de lettres et d’allemand, elle a découvert le rock’n’roll à 16 ans et, obtenu pour son baccalauréat, une fois n’est pas coutume, quelque chose de son père : une guitare. Alors que ses pairs twistent des contrefaçons de tubes américains, elle écrit, compose et interprète ses chansons, qu’elle préfère, comme elle, "tristes et lentes aux chansons plus rapides et gaies".

Fin 1962, lors d’une session pour le magazine Salut les copains, elle fait la rencontre du photographe Jean-Marie Périer qui devient non seulement son amoureux mais aussi son mentor. C’est avec lui que la sylphide effacée mais si photogénique va se transformer en icône pop internationale. Roger Vadim lui offre un rôle dans Château en Suède, Jean-Daniel Pollet dans Une balle au cœur, John Frankenheimer dans Grand prix, et d’autres rôles suivront, elle aurait pu faire carrière au cinéma. Son élégance innée et son caractère distant, sans rien dire (de plus) de sa vénusté ultra moderne, attirent à elle les couturiers les plus sensass : en mini-robe pour André Courrèges, en fer forgé pour Paco Rabanne, en motif Sonia Delaunay pour Marc Bohan… elle est systématiquement inoubliable. Tout le monde est sous le charme. De la chanteuse qui, comme c’est la mode à l’époque, réinterprète des tubes dans de nombreuses langues. De la femme. En plein Swinging London, les rock stars mâles qu’on ne dit pas encore alpha, posent sur elle des regards de loup de Tex Avery !

"Dans une interview, Mick Jagger a fait des déclarations très flatteuses à mon égard en disant que j’étais son idéal féminin", racontera Françoise Hardy dans le documentaire Tant de belles choses diffusé sur France3 en 2016. Mais le leader des Rolling Stones n’est pas le seul à qui elle a fait tourner la tête : Bob Dylan, dont elle apprendra bien plus tard qu’il avait un crush très, très ; sévère sur elle, menaça en 1966 d’annuler son concert à l’Olympia s’il n’était pas assuré de sa présence. David Bowie avait, quant à lui, un jour avoué : "Pendant très longtemps, j’ai été passionnément amoureux d’elle. Elle doit être au courant. Tous les hommes et bon nombre de femmes l’étaient également, et nous le sommes encore." Et François Hardy de minimiser : "Ils étaient amoureux de mon image mais ils ne connaissaient pas mes chansons… " Nonobstant, c’est le dandy Jacques Dutronc qui, à la fin des sixties, va conquérir son cœur… et le briser combien de fois ? À peu près à la même époque, en 1968, par trop handicapée par son trac, elle décide de mettre un terme définitif à sa carrière scénique. Même si c’est par la soustraction, voilà donc qu’elle s’affirme.

En 1971, Françoise Hardy qui dira plus tard son peu d’affection pour ses "chansonnettes des débuts", réalise le premier album entier avec Tuca, une artiste brésilienne inconnue en France, le premier dont elle est fière et celui qui restera son préféré: La question. Ce n’est pas un succès mais c’est mieux : un chef-d’œuvre immarcescible. Tous ses thèmes, toutes ses obsessions, y sont encapsulés dans leur pureté: la dépendance affective, l’absence, la fuite, la mélancolie, l’adieu… Deux ans plus tard, elle donne naissance à deux autres créations essentielles, l’album Message personnelle avec Michel Berger, et son fils, Thomas qui restera toujours proche et fidèle, contrairement à l’amour de sa vie qu’elle épouse néanmoins en 1981.

"Pardon si je pars en catimini, sans préavis"

Entre-temps, persuadée que c’est "au niveau personnel qu’il faut changer le monde et pas au niveau collectif", la chanteuse s’est plongée plus avant dans l’astrologie qu’elle avait découverte vers 18 ans, et dont elle devient alors une experte. La tête dans les étoiles mais les pieds sur terre, elle s’adapte à l’époque avec des albums comme J’écoute de la musique saoule, en 1978, ou Gin tonic, en 1980, qui la voient s’essayer au funk et au disco avec l’aide de talents comme Gabriel Yared ou Michel Jonasz. Au terme d’une décennie compliquée, elle sort un album d’adieu, ni plus ni moins : Décalage dont tout le monde retiendra Partir quand même, écrite initialement pour Jacques Dutronc qui en a composé la mélodie. Mise en abyme, promise abîmée…

Elle n’abandonne pas complètement la musique, signant par exemple Fais-moi une place pour son ami Julien Clerc et répondant aux demandes de collaboration de Malcolm McLaren et le groupe Blur. En 1996, à l’insistance générale (et d’Etienne Daho, en particulier), elle revient finalement au premier plan avec l’album Le danger, très rock, aidée par Alain Lubrano et Rodolphe Burger. S’ouvre alors le dernier acte, bellement nostalgique, obstinément clair-obscur, de sa carrière artistique. En 2003, après qu’on lui a diagnostiqué un lymphome de type Malt, elle écrit une lettre déchirante à son fils Thomas, qui devient une chanson sur une mélodie de Benjamin Biolay : Tant de belles choses. Elle en réchappe grâce à une chimiothérapie mais une rechute manque de l’emporter lorsqu’on lui diagnostique une tumeur au larynx en 2015. Elle ne cache pas sa fatigue, ses douleurs, et elle qui, toujours à son corps défendant, incarne encore l’élégance, ne craint pas d’évoquer la déchéance de la vieillesse. Et la mort.

En 2012, elle avait publié un roman et un album portant le même titre, credo de toute sa vie : L’amour fou. Placée à la fin de l’enregistrement, cette chanson, Rendez-vous dans une autre vie, dans laquelle, fidèle à sa sensibilité, elle nous prie de l’excuser: "Pardon si je pars en catimini, sans préavis. Pardon pour ce soir et hier ici, la pièce est finie." Françoise Hardy est partie dans la soirée du 11juin. Discrètement.Comme on l’aime, on l’excuse. Mais comment lui dire adieu ?

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