Les souvenirs de Georges Brassens, toujours otages d’une âpre bataille judiciaire, plus de 42 ans après la mort du chanteur
|Un conflit toujours vif, plus de 40 ans après le décès du chanteur. MAXPPP – GUY LALOT
Le tribunal judiciaire de Paris doit rendre le 17 janvier 2024 une décision dans l'imbroglio de procédures qui opposent le Sétois Serge Cazzani, neveu et unique héritier de l'artiste, et Françoise Onteniente, fille de son bras droit et ami "Gibraltar", qui voulait mettre en vente plusieurs centaines d'objets conservés par son père. Le conflit pourrait durer pendant des années.
Les copains d'abord, ou bien la famille ? Plus de 42 ans après la mort de Georges Brassens, le 29 octobre 1981 à Saint-Gély-du-Fesc (Hérault) le conflit juridique qui oppose son seul héritier, son neveu Serge Cazzini, et la fille de son ami Pierre Onténiente, dit "Gibraltar", autour de la propriété de plusieurs centaines d'objets et de souvenirs de l'artiste, paraît totalement enlisé.
Des procédures civiles et pénales qui se croisent
Ce 17 janvier 2024, le tribunal judiciaire de Paris doit rendre une décision, via le juge de la mise en état, pour démêler un peu cet imbroglio juridique où procédures civiles et pénales s'entrecroisent, depuis l'interdiction décidée in extremis en référé, le 20 octobre 2022, de la vente aux enchères à Drouot de 404 objets et souvenirs ayant appartenu au plus Sétois de nos chanteurs.
Le 22 octobre 2022, jour du 101 e anniversaire de la naissance de Brassens devait être dispersé au plus offrant à l'Hôtel Drouot un véritable trésor : une vingtaine de pipes, des costumes de scène, mais aussi des manuscrits de chansons, des lettres, des affiches, sa dernière guitare, et surtout un journal personnel rédigé entre 1964 et 1981, estimé entre 100 000 et 150 000 euros par l'étude Gros et Delettrez.
Des objets provenant de deux maisons parisiennes
Tous ces souvenirs étaient proposés par Françoise Onténiente, la fille de l'ancien secrétaire particulier et bras droit de Brassens, et provenaient des deux maisons parisiennes que Georges Brassens avait mises à sa disposition, rue Santos-Dumont et impasse Florimont, dans le XIVe arrondissement.
La première abritait les Editions musicales 57, qui géraient les droits d'auteur de l'artiste, la seconde, où Brassens avait été hébergé au tout début de sa carrière par Jeanne et Marcel Planche, avait été rachetée, puis offerte à Pierre Onténiente par l'artiste, et est aujourd'hui occupée par sa fille.
A Sète, l'héritier voit rouge
Problème : Georges Brassens n'a qu'un seul héritier, son neveu Serge Cazzani, qui vit toujours à Sète, et qui voit rouge en apprenant l'existence de cette vente aux enchères. En tant que légataire universel, il assigne en référé la maison Groz et Delettrez, pour qu'elle retire les 404 lots concernés, estimant être le seul propriétaire légitime de ces archives et objets personnels ayant appartenu à son oncle.
Une possession "paisible et continue"
De son côté, Françoise Onteniente réplique via son avocat que "Feu Georges Brassens a confié à Pierre Onténiente la gestion de son œuvre posthume, l'autorisant à disposer de ses "papiers" (notes, ébauches, brouillons et inédits) selon ce qu'il jugera bon", et que la "possession paisible et non équivoque, continue et ininterrompue" de ces objets en fait d'elle la propriétaire incontestable.
Prudent, le juge des référés avait estimé le 20 octobre 2022 qu’eu égard au "caractère définitif" d'une telle vente aux enchères, seule son interdiction était adaptée à la situation, "dans l'attente de l'issue du différend opposant M. Cazzani et Mme Onteniente."
Abus de confiance et recel
Par ailleurs, une nouvelle plainte avec constitution de partie civile a été déposée le 14 octobre 2022 pour abus de confiance et recel par l'avocat de Serge Cazzani, après une première plainte du même chef, en 2015, classée sans suite par le parquet de Paris six mois plus tard, l'infraction ne semblant alors pas suffisamment caractérisée.
Le 17 janvier, la justice va dire si la procédure civile ou la procédure pénale peuvent se poursuivre, ou bien si l'une doit être suspendue, le temps que l'autre soit tranchée.
Un procès dans deux ans ?
"Si l'action civile se poursuit, un procès devant la 3e chambre civile du tribunal judiciaire de Paris, qui traite notamment des questions de propriété intellectuelle, est envisageable d'ici un an ou deux, pour trancher la question de la propriété de ces objets" explique un observateur du dossier.
Un délai qui serait encore rallongé par un éventuel appel. S'il faut attendre que l'action pénale aboutisse, le délai devrait être encore plus long. "Une procédure pénale de cette nature dure des années, d'autant qu'on est là sur des atteintes aux biens, et pas aux personnes, qui ne font pas partie des priorités judiciaires" souligne la même source.
"Voleuse, c'est d'une violence extrême"
Derrière cette bataille s'esquissent aussi des objectifs différents. "Ces documents relèvent du patrimoine national. Cela a toujours été notre intention de les mettre à la BNF et à l'Espace Brassens" (de Sète NDLR) soulignait en octobre 2022 Serge Cazzani, dans Midi Libre. "Qu'on me considère comme une voleuse, c'est d'une violence extrême pour moi et la mémoire de mon père" répliquait Françoise Onténiente.
En attendant, ces 404 souvenirs de Georges Brassens restent sous séquestre judiciaire, un comble pour la mémoire de cet artiste tant épris de liberté.
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