L’immense Youn Sun Nah en concert samedi au JAM : “Je suis heureuse quand je chante des chansons tristes”
|Pour son concert montpelliérain, la chanteuse coréenne Youn Sun Nah sera accompagnée par le grand pianiste Bojan Z. Seung Yull Nah
Timbre soyeux et lumineux, technique hallucinante, sensibilité renversante, subtilité des improvisations et des interprétations, charisme scénique étonnant… On ne se lasse pas de le répéter : la Coréenne Youn Sun Nah est à notre humble point de vue, l’une des plus grandes chanteuses de jazz au monde. Ce samedi 3 octobre au JAM à Montpellier, elle défend en duo avec le pianiste Bojan Z, son album "Elles", hommage aux grandes voix féminines qui l’ont aidée à trouver la sienne.
Comment est né ce projet très spécifique de reprises des standards popularisées par des femmes iconiques ?
Au départ, j’avais juste envie d’enregistrer tout un album de standards. Je suis considérée comme une chanteuse de jazz mais je n’avais jusque-là jamais enregistré un pur album de standards. Comme mon précédent disque ne renfermait que des compositions originales, je trouvais que c’était le bon moment pour un recueil de covers. Mais en commençant à sélectionner les morceaux, je me suis rendu compte que la plupart étaient chantés par des femmes incroyables alors j’ai changé de direction et me suis concentrée sur ces inspiratrices qui ont traversé les époques : Nina Simone, Björk, Billie Holiday, Grace Jones, Edith Piaf, Roberta Flack, etc.
Avez-vous d’abord choisi les personnalités ou les morceaux ?
Au début, j’en avais retenu plus d’une centaine, j’ai dû réduire ma sélection, 50, 30… J’ai finalement enregistré quinze titres mais n’en ai retenu que dix pour l’album. J’avais juste choisi des morceaux qui m’étaient chers. Si je devais refaire un album avec le même concept, peut-être choisirais-je d’autres chanteuses mais à ce moment-là, c’étaient celles-là. Mais la liste de mes admirations est tellement longue !
Il y a une certaine unité d’atmosphère, toujours quelque chose d’un blues, d’une saudade, d’une mélancolie…
C’est vrai. On me réclame parfois de faire des morceaux joyeux, qui font danser les gens, mais je ne sais pas pourquoi mais moi, je suis heureuse quand je chante des chansons tristes ! (rires) C’est bizarre, sans doute, mais j’adore ce côté un peu mélancolique. Après, voyez Nina Simone, quoi qu’elle chante, que ce soit un morceau des Beatles, un standard ou un traditionnel, ça devient du Nina Simone. C’est ce que j’admire chez ces chanteuses.
Mais c’est précisément ce que vous faites avec ce disque !
Ah, ah, un peu, oui, finalement ! (rires) Je ne suis pas comme elles, je suis quelqu’un d’assez timide. Après, sur scène, je ne sais pas trop pourquoi mais j’ai plus de courage que dans la vie quotidienne. Peut-être est-ce cela que j’aime vraiment chez elles : leur capacité à surmonter toutes les difficultés ? Elles ont survécu, et elles sont devenues la musique même, et intemporelles. Si j’arrive à faire, même un tout petit peu, alors je suis heureuse !
Il nous semble qu'"Elles" est le premier enregistrement sur lequel vous vous autorisez à graver ce que vous faites naturellement sur scène : partir dans des acrobaties vocales pas possibles, vous lâcher en somme !
Dès mes études en école de jazz, j’ai adoré ça, les chorus, les vocalises… C’est un challenge très agréable à relever, quoique vraiment très difficile à réussir. J’ai beaucoup travaillé ça, toute seule, dans mon coin, et un jour, je l’ai fait sur scène, les gens ont adoré, et les musiciens aussi, alors depuis, je m'autorise ce genre de morceaux sur scène. C’est un peu grâce à cette chanteuse, Maria Joao (dont je reprends la chanson Coisas da terra) : elle a des capacités vocales incroyables, à un moment tu penses que c’est une petite fille et l’instant d’après c’est une lionne terrifiante ! C’est elle qui m’a montré qu’il n’y avait pas de limite dans la voix.
Sur ce disque, vous n’êtes cette fois accompagnée que par un claviériste…
J’aime bien quand on est peu sur scène, cette intimité. C’est plus facile de communiquer. C’est pour ça que j’ai longtemps tourné avec un seul guitariste, Ulf Wakenius. Cette fois, j’avais envie de le faire avec un piano mais John Cowherd joue de toutes les sortes de claviers, il peut sonner de tellement différentes façons. C’est un vrai jukebox : il peut tout jouer ! En tournée, je suis accompagnée par différents pianistes suivant les dates ; ce qui est incroyable : même si je joue le même répertoire, c’est chaque fois un spectacle différent !
À Montpellier, ce sera l’immense Bojan Z !
C’est un musicien que j’admire depuis longtemps. Quand je suis arrivée en France, c’était déjà une star. Pour l’heure, on n’a joué qu’une seule fois ensemble, j’étais tellement contente qu’il soit partant. Il a un jeu tellement singulier, surprenant, très percussif. Quand on a fait ce concert ensemble en Corée, le public a été stupéfait : personne n’avait jamais quelqu’un jouer du piano comme lui !
Avez-vous conscience de faire avec ce projet, un geste féministe, de sororité artistique ?
Les femmes, les hommes, on est tous des êtres humains mais on est différent, et c’est la différence qui, depuis toujours, fait peur. Pas seulement la différence de sexes, d'ailleurs, aussi celle de cultures, de couleurs de peau, de parcours, d’opinions, etc. Je pense qu’on ne pourra jamais comprendre totalement les hommes, ni totalement les femmes, mais c’est aussi ça qui est beau : accepter de ne pas tout comprendre de l’autre mais accepter l’autre malgré tout !
Vous êtes vous-même un message : une Coréenne francophile grande voix du jazz chantant en anglais…
Quand j’ai commencé mon école de jazz en France, les élèves me demandaient ce qu’était le jazz coréen ? J’étais naïve, je leur avais répondu que je ne savais pas que le jazz avait une nationalité. Mais maintenant je comprends ce qu’ils voulaient me demander : quelle était la particularité du jazz en Corée. Quoi qu’il en soit, pour moi, la France est un pays tellement ouvert. J’en ai pris conscience au début de ma carrière : sur un de mes premiers albums, il y avait un morceau en coréen et c’est ce morceau-là précisément que la radio (TSF, je m’en souviens) avait playlisté ! J’ai compris là que c’était un pays qui était prêt à accueillir les personnes venues d’autres horizons, à leur donner leur chance. Je le dis souvent à mes amis coréens : j’ai eu beaucoup de chance, je dois beaucoup à la France.
Aura-t-on un jour le plaisir de vous voir signer un album entier en français ?
C’est un rêve pour moi ! J’aimerais pouvoir le réaliser un jour. Mais il faut que je travaille encore beaucoup. Je dois encore améliorer mon français ! Cette langue… Quand je chante Avec le temps devant un public coréen, il a beau ne rien comprendre, il pleure, la musique de la langue agit au-delà des paroles…
En attendant, peut-on espérer un autre album de compositions originales comme "Waking world", qui était tellement magnifique ?
Je suis justement en train de travailler sur mon prochain album ! (rires) Oui, j’essaie de composer de nouveaux morceaux.
Vous êtes la "marraine" du JAM qui fête ses 45 ans. Que vous inspire cette salle ?
J’y ai déjà joué deux fois. J’adore ! Un lieu comme le JAM, à la fois école de jazz et club de jazz, pour moi, c’est un rêve. J’aimerais bien le mettre dans ma valise et le ramener en Corée ! (rires) C’est un endroit qui permet aux musiciens d’atteindre leur rêver : monter sur scène ! Ce sont des musiciens qui y donnent les cours, y transmettent leur expérience, à de plus jeunes musiciens qui y auront l’opportunité de jouer sur scène. Je sens qu’il y a beaucoup d’amour et de passion dans ce projet, et c’est formidable !
En concert ce samedi 3 octobre, à partir de 21 h, au JAM, 100 rue Ferdinand-de-Lesseps, Montpellier. 15 € à 30 €. 04 67 58 30 30. Je m’abonne pour lire la suite