“On est des gens bien, c’est trop dur” : au Mas Saint-Antoine de Saint-Gilles, un double crime et une famille en lambeaux
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Farid Khial, un infirmier, est accusé de meurtre et d’assassinat devant la cour d’assises du Gard, pour avoir tué le 17 mai 2021 sur cette propriété agricole Jean-Paul Emmanuel et sa compagne Chantal Christophe, à l’issue d’un conflit mêlant haine familiale irrationnelle et conflit de voisinage.
Le document diffusé ce mercredi 3 avril à la cour d’assises du Gard est aussi étonnant que terrible. Le 17 mai 2021, vers 19 h, les caméras de surveillance de l’une des maisons du Mas Saint-Antoine, à Saint-Gilles, où cohabitent depuis plusieurs années deux branches d’une même famille, captent partiellement le double crime que l’on juge depuis mardi à Nîmes.
Une soirée printanière en Camargue
À l’écran, un enclos, où évoluent les deux chiens de Farid et Mylène Khial, parents de trois enfants. En arrière-plan, un chemin, des cerisiers, et toute la douceur d’une fin de journée printanière en Camargue. On entend le chant des oiseaux, qui trouble à peine le silence. Et puis sort de la maison cet infirmier de 53 ans, grand sportif, qui marche d’un pas décidé, ouvre le portillon, et s’éloigne vers la droite, où l’on aperçoit à peine une voiture, garée à quelques pas de là.
L’instant d’après, des éclats de voix. Et puis des cris stridents de femme. Terribles, glaçants. "Arrête ! Arrête !" Silence. L’homme revient, déplace la voiture, appelle son fils pour qu’il rentre les chiens, repart.
Gourdin en bois et gants en latex
"Il y a trois allers-retours, et à chaque fois, les cris reprendront. Cela dure une bonne dizaine de minutes, et la dernière fois, Farid Khial est porteur de gants en latex. Puis on le voit sortir avec un gourdin en bois" décrit le gendarme qui a dirigé l’enquête. L’homme part cette fois-ci vers la gauche. "Les sons seront moins perceptibles, mais on entend encore des cris" poursuit l’enquêteur.
Il est un peu plus de 20 h, et cet homme à la trajectoire sans tache, diplômé de pharmacie en Algérie, infirmier en intérim, travailleur infatigable et marié depuis 25 ans avec la fille d’un des propriétaires du domaine vient de tuer deux personnes. Près de sa voiture, Chantal Christophe, 67 ans, a reçu plusieurs coups, dont l’un lui a brisé le bras. Elle a le sinus fracturé, et a été asphyxiée avec un sac en plastique sur la tête.
Les corps cachés dans une voiture
Jean-Paul Emmanuel, 73 ans, a eu le crâne fracassé, dans un hangar agricole situé un peu plus loin sur le domaine. Leurs corps seront retrouvés le lendemain, dans le coffre et l’habitacle de la voiture de Chantal, garée dans un autre hangar à la porte cadenassée.
Depuis, la cour tente de comprendre la genèse de ce drame, né entre haine familiale recuite et conflit de voisinage exacerbé. Sur ce vaste domaine agricole en indivision, où l’on produit entre autres des cerises, cohabitent deux frères, Jean-Paul, la victime, et son frère Jean-Louis, le père de Mylène.
Deux frères comme chien et chat
"Jean-Paul, avec son frère, c’était chien et chat, ils se disputaient et l’instant d’après ils allaient s’entraider" raconte Olivier Riboulet, "éleveur de taureaux de combat" et à qui son ami avait laissé ses terres "en fermage amical".
Avec Chantal, décrite par beaucoup comme "une femme de caractère" les relations sont encore plus tendues : elle abreuve d’insultes Mylène, venue s’installer en 2017 avec Farid et leurs trois enfants au domaine, près de ses parents, après vingt ans passés à Montpellier. Chantal fait exprès d’accélérer sur les graviers en passant devant leur porte, pour rejoindre sa maison, plus loin sur le domaine. "Dès qu’on est arrivés on a eu le sentiment que notre présence dérangeait" soupire Alexandre, leur fils de 23 ans, ingénieur.
"Je vais l'égorger !"
Et la tension, la haine et les menacent montent. "Les derniers temps, Jean-Paul avait peur pour sa vie" raconte le fleuriste qui utilisait l’un de ses hangars. On projette une nouvelle scène d’altercation, où Jean-Paul, Jean-Louis et Farid se hurlent dessus en faisant des grands gestes, avec, hors-champ, les cris de Chantal. "Je vais t’écraser ta tête, connard, et ta grosse aussi je vais l’égorger !" crie Farid.
"Je vais tous vous descendre ! " réplique Jean-Paul.
Dans son box, Farid Khial, visage en lame de couteau et veste noire, griffonne sur un petit carnet. À la barre, Mylène, son épouse, sanglote. "On se connaît tous, on est des gens bien, c’est trop dur". L’audience, poignante, s’achève dans les pleurs de chaque branche de la famille, chacune de son côté de la salle. Verdict vendredi.
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