Sécheresse : malgré les pluies, “on reste dans une situation critique pour l’été qui arrive”, selon un hydrogéologue
|En dépit des pluies, l’Agly dans les Pyrénées-Orientales reste à un niveau très bas. MAXPPP – MICHEL CLEMENTZ
En dépit d’une situation qui s’améliore grâce aux dernières pluies, le niveau des nappes phréatiques reste à un niveau très bas dans les Pyrénées-Orientales et bas dans l’Aude et dans le Biterrois, sur l’Orb. Et les prévisions météo ne prévoient plus de pluie pour les deux à trois semaines qui arrivent.
"Qu’on ne me parle plus de sécheresse, je n’ai pas vu le soleil depuis des mois". Sur les réseaux sociaux, les pluies de ces dernières semaines auraient durablement réglé un problème grave et récurrent en Languedoc. Malheureusement, il n’en est rien. S’il a encore plu sur la région hier, il ne faut pas s’emballer. Loin s’en faut.
Fin avril, en 48h, il est tombé une soixantaine de millimètres de pluie dans la région de Perpignan.
Ces pluies sont bénéfiques pour les couches superficielles des sols, mais n’inversent pas la situation de très forte #sécheresse qui sévit dans cette zone depuis plusieurs mois. pic.twitter.com/FNs18EA4pv
— Météo-France (@meteofrance) May 3, 2024
Les pluies du mois de mars et de fin avril ont permis de sensiblement améliorer la situation de sécheresse. Mais pas de la régler. En particulier dans les Pyrénées-Orientales où le niveau des nappes phréatiques reste à un niveau "très bas", selon le BRGM. Le Bureau de recherches géologiques et minières s’apprête à publier une carte qui montre que la situation s’améliore un peu mais reste en tension également dans l’Aude et dans le Biterrois sur le fleuve Orb où le niveau reste "bas". "Le déficit accumulé est tel qu’il ne peut pas être comblé avec une centaine de millimètres en quelques jours", tempère l’hydrogéologue du BRGM Perrine Fleury.
Il faudrait de nouvelles pluies consistantes
"C’est une embellie, par contre, on ne peut pas prétendre restaurer le niveau des nappes, ajoute docteur en hydrogéologie catalan Henri Got. Il faut se souvenir qu’en France, au 1er avril 2023, on était à des stades, bas voire très bas. Il a fallu attendre six à huit mois pour revoir des niveaux normaux, y compris dans des endroits où il a beaucoup plu. Par comme dans le Roussillon, les quantités tombées ne sont pas assez importantes pour améliorer durablement la situation". Si cela s'arrange pour la Lozère, le Gard et une partie de l'Hérault, la situation reste donc critique dans l'Aude et les P.-O.
“On attend d’être au pied du mur pour agir”
Henri Got n’est pas d’une naturel pessimiste mais il regrette le retard pris dans tous les projets qui auraient permis aux Pyrénées-Orientales de ne pas souffrir autant du manque d’eau. Réutiliser les eaux usées ? "Oui, mais c’est un équilibre complexe. Un travail a été engagé dans la vallée du Tech avec la chambre d’agriculture pour déterminer des sites propices à la création de retenue d’eau, mais cela ne se fera pas d’ici l’été. Ce que nous faisons aujourd’hui dans l’urgence, aurait dû se faire dans la sérénité voici 10 ans". Quant au tuyau du Rhône, via BRL, "c’est un chantier à 20 ans, or on en aurait besoin aujourd’hui. Le paradoxe c’est qu’il a été proposé et refusé voici 20 ans, par les agriculteurs. L’homme est ainsi fait qu’il attend d’être au pied du mur pour agir. La parole scientifique ne porte que si elle apporte du mieux. Si on demande de faire des efforts, alors on trouvera des excuses pour ne rien faire". Selon l’hydrogéologue, on fait face "à deux problèmes : le déni, on ne veut pas voir, on dit que cela n’arrivera pas ; et puis la procrastination : on se dit, on verra l’année prochaine… Et puis les année se suivent et rien n’est fait. L’homme ne réagit que devant le danger immédiat. Pourtant tout ce qui arrive était prévu de longue date".
Parmi les bonnes nouvelles, les spécialistes notent toutefois que les pluies tombées ont été continues. Ainsi la recharge vers les nappes a été bonne. "Mais il faudrait de nouvelles pluies consistantes en particulier sur l’Aude et les P.- O.", précise Perrine Fleury. Consistantes mais pas diluviennes comme en février dans le Gard : "Une grande quantité de pluie s’est abattue avec une très forte intensité si bien que le ruissellement a été prépondérant évacuant rapidement l’eau à la mer via les cours d’eau en crue, une part importante de l’eau n’a pas regagné les nappes", explique la scientifique.
Il manque une année de pluie dans les P.-O.
Quoi qu’il en soit, les prévisions de Météo France sont plutôt moroses en terme de pluviométrie pour les deux à trois semaines à venir en Languedoc-Roussillon. "Donc on reste dans une situation critique pour l’été qui arrive, explique Henri Got. Car c’est maintenant que les nappes se rechargent mais aussi que les végétaux ont le plus besoin d’eau".
Dans Libération,le chercheur Wolfgang Ludwig, professeur en géosciences à l’université de Perpignan le dit autrement : "C’est une bonne nouvelle à court terme mais ça n’efface pas la mauvaise nouvelle : notre climat évolue vers des sécheresses plus fréquentes. La crise n’est pas terminée. Il n’a pas plu assez pour rattraper le déficit accumulé. Il nous manquait une année entière de pluie, on vient d’en combler un dixième".
Il faut continuer les économies d’eau
Perrine Fleury souligne que cela s'arrange dans le Gard, l'Hérault et la Lozère : "Il y aura peut-être des restrictions sur certains secteurs, mais on devrait être loin de la situation critique de 2023 sur ces 3 départements qui était-elle généralisée sur l’ensemble des nappes de la région Languedoc-Roussillon".
Dans l'Aude et les P.-O. Henri Got estime qu'il va "falloir continuer les économies d’eau et sûrement les amplifier. On est parvenu à économiser l’an passé 30 % d’eau potable dans les Pyrénées-Orientales, il faut poursuivre cet effort". Sans pouvoir dire si cela suffira pour que tout le monde ait de l’eau. Mais les économies ont aussi une limite : "Il arrivera un moment où cela ne suffira plus. Là on serre les dents en espérant qu’il pleuve mais avec le climat tout est possible. On peut très bien rentrer dans des périodes d’inondations. Qui aurait imaginé voir des inondations à Dubaï en plein désert ?"
Pour les climato-sceptiques, pas sûr que l’on finisse de parler de sécheresse cette année dans la région.
Barcelone veut dessaler l’eau de mer
Le gouvernement local de Catalogne a annoncé le 18 avril dernier l’installation de treize stations de dessalement d’eau de mer provisoires à travers la région pour faire face à l’une des pires sécheresses de son histoire. L’une des installations prévues est une station flottante, dans le port de Barcelone. Une façon de cesser la fourniture d’eau potable par bateau qui ne peut transporter que 25 000 m3 par jour avec un coût au mètre cube d’eau potable de 10 euros. Ce projet de dessalement ulcère les écologistes espagnols qui y voient "un pansement", sur une "politique de gestion de l’eau désastreuse" et qui préconise de limiter les usages pour faire d’importantes économies d’eau potable.
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