“Une vision d’horreur, des paysages d’apocalypse, c’est dantesque” : le témoignage d’une humanitaire dans l’enfer de Gaza

"Une vision d’horreur, des paysages d’apocalypse, c’est dantesque" : le témoignage d’une humanitaire dans l’enfer de Gaza

Gaza CIty, 9 octobre 2023 : l’offensive israélienne vient de débuter. EPA – MOHAMMED SABER

Aurélie Godard, 43 ans, médecin anesthésiste réanimateur est partie deux fois ces derniers mois dans la bande de Gaza pour y diriger les activités médicales de Médecins sans frontières (MSF). Elle est de retour sur place depuis mardi avec l’ONG International medical corps. Témoignage.

Quelle est la situation à Gaza ?

Les conditions de vie sont absolument terribles et la situation s’aggrave, avec des mouvements de population incessants, des gens qui s’agglutinent dans des espaces de plus en plus réduits sur un trottoir, un terrain vague.

Selon une estimation des Nations Unies, ils ont en moyenne 1,5 m2 de surface de vie au sol par personne et toujours les mêmes difficultés pour s’approvisionner en eau et en nourriture.

Et puis s’est ajouté à cela des difficultés d’acheminement encore plus importantes avec la prise par l’armée israélienne du poste-frontière de Rafah entre la bande de Gaza et l’Égypte, là où passe l’essentiel de l’aide humanitaire.

Pendant plusieurs semaines, plus rien n’est entré, ni nourriture, ni médicaments, avant des arrivées au compte-goutte contrôlées désormais par Israël et des évacuations de blessés et de malades quasiment à l’arrêt.

Dans ce contexte, comment s’organisent les secours ?

Nous nous sommes retrouvés en rupture de médicaments, d’équipements, obligés d’espacer les changements des pansements, en croisant les doigts pour que ça ne s’infecte pas, de restériliser des choses qu’on aurait dû jeter, ce ne sont pas les procédures, mais on fait comme on peut, en dégradant la qualité de soins qui est déjà loin d’être optimale, en faisant des économies de bout de chandelles.

Vous n’avez aucune visibilité sur ce que vous allez pouvoir recevoir, vous voyez parfois arriver un camion avec la machine que vous attendiez mais il manque la moitié des pièces donc elle est inutilisable.

Et il y a ces bombardements de masse qui touchent des zones humanitaires, il y a la polio…

Les pauses décrétées pour mener des campagnes de vaccination ont-elles été suffisantes ?

Non, elles ont permis une partie de la couverture vaccinale, mais étaient largement insuffisantes et les campagnes ont été très compliquées, notamment, dans le Nord. Et demain ce sera la rougeole, le choléra, on entre malheureusement dans les phases de toutes ces grandes maladies transmissibles, des épidémies, car les gens sont déplacés et il n’y a plus de suivi.

À Nasser, par exemple, les archives de l’hôpital ont brûlé de façon assez sélectives, tous les dossiers médicaux ont été détruits.

Dans quel but selon vous ?

De la même façon qu’on détruit des mairies, les infrastructures civiles, vous ne pouvez plus demander un acte de naissance, une pièce d’identité, on perçoit cette volonté de rendre la vie à Gaza impossible et le soin non opérationnel.

La situation ne peut donc que se dégrader.

Nous avons dû évacuer notre hôpital de Rafah, pour redéployer nos activités à Khan Younès (sud de la bande de Gaza). Il a fallu réhabiliter une bonne partie de l’hôpital Nasser, laissé sans dessus-dessous après l’invasion de l’armée israélienne, tous les faux plafonds ont été éventrés, toutes les vitres ont explosé, les cartes mères des ordinateurs ont été emportées par l’armée israélienne, le système informatique ne fonctionnait pas.

Le système sanitaire est mis à mal de façon systématique et organisé.

De quoi manque le plus la population ?

D’humanité. Ils ont arrêté d’espérer, ils arrivent à l’épuisement de leur mécanisme de compensation, de résilience, derrière la litanie des chiffres, il y a des personnes déplacées qui ne savent pas s’ils seront vivants demain, c’est inscrit dans leur chair. Ils manquent de tout et ils manquent de futur.

Israël est en train de raser la bande de Gaza, c’est une vision d’horreur, avec des façades éventrées, des paysages d’apocalypse, comme dans les films, c’est dantesque.

Au Liban, “plus rien n’est sûr”

" Cette nuit les bombardements étaient très. forts et proches."» Dans la banlieue sud de Beyrouth, où il vit près du quartier du Hezbollah, le Montpelliérain Guillaume Bruté de Rémur assiste depuis plusieurs jours à l’intensification des frappes israéliennes, appuyée désormais par une offensive au sol. "La population est très affectée, relate ce prêtre de 55 ans, dont 25 ans passés dans ce pays dévasté par des guerres sans fin. Après l’assassinat des chefs du Hezbollah, la réponse iranienne, 200 missiles tirés sur Israël, mardi soir, "a relancé la machine qui semblait s’être ralentie", s’inquiète-t-il. Des rapatriements "Mercredi, à l’annonce des bombardements iraniens, le quartier voisin s’est animé et nous avons entendu de nombreux tirs de mitraillettes, expression de joie. Surréaliste." Les Libanais ne savent pas désormais ce qui les attend. "Tout le monde sent que plus rien n’est sûr", glisse l’Héraultais. Beaucoup tentent de fuir le pays, où vivent plus de 20 000 Français. Paris a déployé un porte-hélicoptère amphibie et commencé à rapatrier les personnes les plus vulnérables. Souvent la seule échappatoire. "Les vols qui partent de Beyrouth sont bondés jusqu’à pratiquement la fin du mois, relate Guillaume Bruté de Rémur. Et les quartiers chrétiens se sont remplis de chiites réfugiés qui ont quitté leur maison." Depuis un an, plus d’un million de Libanais ont ainsi été déplacés. Plus de 1 900 personnes ont été tuées et 9 000 blessées, selon les autorités libanaises.

Pour atteindre ce niveau de destruction, il a fallu un niveau de violence inimaginable. Toutes les ONG s’accordent sur le fait que ce qui se passe là-bas ne respecte pas le droit international et humanitaire.

Il n’y a pas un seul Palestinien à l’hôpital qui ne soit pas psychologiquement traumatisé aujourd’hui. Les besoins en santé mentale, psychologique vont être absolument colossaux, évidemment chez les enfants, mais pas seulement.

Vous voyez des populations désespérées fuir les tanks, les drones, les snipers, sur des petites charrettes tirées par des ânes squelettiques sur lesquelles ils ont amoncelé les quelques possessions qu’il leur reste, deux ou trois matelas, une chaise en plastique, avec souvent, dans leurs yeux, une lassitude sans fin.

"Une vision d’horreur, des paysages d’apocalypse, c’est dantesque" : le témoignage d’une humanitaire dans l’enfer de Gaza

Les Palestiniens fuient la mort et des villes dévastées. MAXPPP – IMAGO/Omar Ashtawy apaimages

Et parfois, de façon un peu inouïe, vous voyez la vie reprendre au milieu des décombres, avec des gamins qui vont jouer dans des flaques d’eau, des fils à linge qui se tendent entre un bout de mur et un poteau.

De nombreux humanitaires sont morts sur place. Cette peur vous accompagne-t-elle au quotidien ?

Oui, les soignants sont pris eux aussi dans cette terreur du quotidien. Il a deux façons de se déplacer. La première, c’est de faire ce que vous voulez, à vos risques et péril.

"Une vision d’horreur, des paysages d’apocalypse, c’est dantesque" : le témoignage d’une humanitaire dans l’enfer de Gaza

Aurélie Godard a dirigé à deux reprises les opérations médicales de MSF dans la bande de Gaza ces derniers mois. DR

La deuxième c’est de prévenir l’armée israélienne en leur donnant le nom des passagers, l’heure, la route précise, etc. Mais j’ai participé à un convoi avec les Nations Unies dans le nord de la bande de Gaza, où ils ont arrêté notre chauffeur au check-point et l’ont déshabillé, alors qu’ils avaient validé toutes les informations en amont. Les convois sont parfois mis en joue par les tanks israéliens.

Le danger est partout même quand vous prenez le maximum de précautions possibles.

Le bilan des morts et des blessés à Gaza, chiffres contrôlés par le Hamas, vous paraissent-ils conformes à la réalité ?

Ils sont, selon moi, en dessous même de la réalité, d’abord parce que les chiffres donnés par le Hamas sur les autres conflits ont toujours fini par être corroborés a posteriori par Israël. Ensuite parce que les gens, les familles amènent les corps à l’hôpital pour être enregistrés.

Mais il manque, dans tout cela, tous ceux qui sont encore sous les décombres, ou disparus et les blessés indirects, les complications des soins courant, un homme qui fait un infarctus et ne peut se rendre à l’hôpital, une femme qui décède après une césarienne qui n’a pas pu être réalisée dans des bonnes conditions. Tous ces morts ne sont pas comptés dans les bilans.

En Israël, le kibboutz de Be’eri entre espoir et douleur

Avida Bachar laisse courir ses doigts sur une porte en acier criblée d’impacts de balles et encore marquée du sang de son fils, Carmel, 15 ans, tué le 7 octobre 2023. Son épouse, Dana, a également péri ce jour-là lorsque les assaillants ont fait irruption dans le kibboutz de Be’eri, l’une des communautés les plus touchées. Le village, situé à 5 km de la bande de Gaza, a perdu un dixième de ses 1 000 habitants. La maison d’Avida Bachar était équipée d’une pièce sécurisée où la famille s’est réfugiée ce matin-là. Mais l’abri n’a pas résisté à l’assaut de dizaines de combattants qui ont tiré sur la porte, lancé des grenades à travers les fenêtres et incendié la maison. A 51 ans, Avida Bachar, qui a perdu l’une de ses jambes lors de l’attaque, garde l’espoir que le kibboutz parvienne, le temps aidant, à panser ses plaies. L’optimisme de Hadar, sa fille de 14 ans blessée elle aussi, le porte. "Elle est dix fois plus forte que moi. Les jeunes vivent dans le présent. Quand je l’imagine se marier, dans quelques années, sans sa mère, je m’effondre", confie-t-il. Le kibboutz de Be’eri a été fondé en 1946 dans le but de créer une communauté agricole collective et égalitaire. "Il faudra du temps, non seulement pour reconstruire Be’eri, mais pour rétablir la confiance dans l’idée que le kibboutz est un refuge", mesure Iftah Celniker, responsable du groupe. A Be’eri, dix personnes ont été capturées. Au moins trois seraient encore en vie. Le corps de Carmel Gat, 40 ans, a été retrouvé, lui, dans un tunnel du Hamas, au côté des dépouilles de cinq autres otages. Selon les autorités israéliennes, leurs geôliers les ont abattus à l’approche des soldats de Tsahal. Une photographie de Carmel, sourire aux lèvres, a été disposée sur les ruines de la maison familiale. Son frère cadet, Or, fouille dans les décombres d’une vie détruite. "Notre sécurité ne sera plus jamais la même, mais c’est le lieu de nos vies, des moments heureux comme des moments horribles. C’est notre lieu de vie, notre lieu de combat", souligne-t-il.

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