VIDEOS. “On libère le meurtrier et on n’aura pas de procès ?” : aux assises de l’Hérault, un accusé mourant pas en état d’être jugé
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C'est un fiasco judiciaire. Jean-Luc Muller devait être jugé aux assises de l'Hérault pour un meurtre pour lequel il est incarcéré depuis août 2020. Gravement malade depuis de nombreux mois, son procès n'avait pas pu se tenir avant, à cause de l'engorgement de la juridiction. Mais l'accusé n'est plus en état de comparaître, le procès est renvoyé sans que l'on sache s'il pourra se tenir un jour. Au grand dam des parties civiles.
"Je m'étais préparée, à la barre, j'aurais dit qu'il n'y a pas de douleur plus grande que la perte d'un enfant pour une mère, c'est un acte contre-nature irréparable… Et ça m'aurait soulagé de le dire ! Là, on connaît le meurtrier depuis le premier jour et on le libère ? Et on n'aura pas de procès ? Où va la France ? Où va la justice ?".
Une minerve autour du cou, la voix tremblante, soutenue par son fils, son frère et sa sœur, Marie-Christine, une Gardoise de 76 ans, ne décolère ce lundi 4 mars en sortant de la cour d'assises de l'Hérault.
Tué d'une douzaine de coups de couteau
L'affaire du meurtre de son fils, Fabrice Venaruzzo, tué d'une douzaine de coups de couteau à Montpellier, début août 2020, lors d'un huis clos sanglant et alcoolisé, qui devait être jugée pendant trois jours a été renvoyée sine die. La raison ? L'état de santé de l'accusé, Jean-Luc Muller, 57 ans, "ne lui permet pas d'être présent pour la tenue de son procès" écrit le docteur qui l'a examiné.
Ce report acte un fiasco retentissant et quasi définitif pour la justice dans un dossier où le manque de moyens de l'institution n'a pas permis de faire juger à temps le mis en cause, atteint d'un "cancer de la prostate métastasé de niveau 4" comme le rappelle son avocat Me Marc Gallix, et dont le pronostic vital est engagé depuis plusieurs mois dans sa cellule de Villeneuve-lès-Maguelone (Hérault).
À ce renvoi s'ajoute également une remise en liberté immédiate de Fabrice Venaruzzo prononcé par les assises, ce que la cour d'appel avait refusé à cinq reprises depuis deux ans.
Avec, fait rarissime, ces excuses présentées par la présidente Sylvie Rouanne aux parties civiles effondrées à l'annonce du report.
"L'institution judiciaire vous présente ses excuses"
"Je comprends que ce soit une décision compliquée et difficile à entendre… L'institution judiciaire vous présente ses excuses" a lancé la magistrate. "Ce dossier aurait dû être audiencé en 2023, l'état des effectifs ne l'a pas permis. Nous pouvons entendre votre sentiment d'incompréhension, mais nous ne remplissons plus les conditions pour le maintenir en détention".
L'engorgement des cours d'assises en général et celle de l'Hérault en particulier n'a pas permis de faire juger ce meurtre avant, faute de magistrats et de greffiers suffisants. En novembre 2023, le Premier président de la cour d'appel avait indiqué que 170 dossiers étaient en stocks, sans compter les nouvelles affaires et qu'en plus un des cinq présidents de la cour d'assises du ressort n'a pu être remplacé pendant cinq mois.
"Il n'y aura jamais de procès"
Et le vaste plan de recrutement sans précédent annoncé par le Garde des sceaux l'année dernière, à hauteur de 11 milliards d'euros, ne pourra combler les déficits humains qu'une fois les fonctionnaires formés et recrutés.
La cour d'assises s'est même montrée pessimiste sur la tenue d'un procès à l'avenir, "je ne suis pas sûre que nous pourrons fixer une date eu égard à son état de santé" a dit la présidente.
De quoi faire bondir le frère du défunt dans la salle des pas perdus : "Ce n'est pas de l'incompréhension, c'est de l'injustice, on nous enlève la parole" lance-t-il alors que la tante de Fabrice Venaruzzo n'y croit plus, "il n'y aura jamais de procès" désespère-t-elle.
"C'est dramatique, la lenteur des procédures et le manque de moyens aboutissent à ce fiasco" abonde Me Victor Calinaud, l'avocat des parties civiles.
La défense de Jean-Luc Muller a, de son côté, demandé à la cour de faire preuve "d'humanité" et de le remettre en liberté, comme elle le demandait depuis plus d'un an, signalant que le délai maximal de la détention provisoire était quasiment atteint.
"Laissez-le sortir et aller mourir chez sa mère"
"Nous ne sommes malheureusement pas surpris de ce qui se passe et je ne serai pas étonné que cet homme meurt dans les jours qui viennent… Depuis août 2020, on sait qu'il est malade, pourquoi ce dossier n'a-t-il pas été pris en priorité ?" dénonce Me Gallix. "Chaque matin, les surveillants de prison ont peur en ouvrant la cellule de le trouver mort… Laissez-le sortir et aller mourir chez sa mère".
Ce que la cour a accordé, Jean-Luc Muller devait rejoindre Rouen ces prochaines heures. Avant un prochain audiencement de l'affaire, ces prochains mois, sans que l'on sache s'il sera encore en vie.
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