Week-end Histoire. Ange Alvarez, l’évadé du train fantôme
|Ange Alvarez a été le premier à s’évader de ce train de l’enfer. Ils seront 160 à réussir comme lui à s’enfuir durant les 57 jours de trajet. D.R.
Ce Gardois a été le premier prisonnier à réussir à s’évader de ce convoi de la mort parti de Toulouse à l’été 1944 et qui a mené près de 800 juifs et résistants à Dachau.
Il faut être en proie au désespoir pour tenter l’impossible. C'est ce qu'a fait Ange Alvarez. Animé de courage ou secoué d’inconscience, il a été le premier prisonnier à s’échapper du "train fantôme", l’un des derniers convois de la mort, le train fantôme. Il avait été nommé ainsi car il n'avait cessé d’apparaître et de disparaître en raison des bombardements alliés et des sabotages de la résistance, avant d’arriver, au bout de 57 effroyables jours au camp de concentration de Dachau.
Ange a été emprisonné à la prison Saint-Michel à Toulouse pour des faits de résistance. A 18 ans, il opère dans les FTPF, l’obédience communiste de la Résistance, et a été arrêté à Montpellier. Fin juin 1944, son destin semble scellé quand les autorités françaises remettent les détenus à la surveillance des Allemands qui, sur-le-champ, menottent les prisonniers, les enchaînent, les font sortir à coups de crosse et les entassent dans des fourgons. Ils sont ensuite amenés sur un quai de triage et parqués à côté d’un long train de marchandises avant d’être massés de force dans les wagons. "Immédiatement, j’ai dit : “il faut former un commando pour s’échapper”. Là, on m’a répondu, “si tu bouges, on appelle les Allemands.” On a alors décidé de s’évader à trois. On y croyait. Nuncio Titonel, un résistant italien m’a dit : “La Garonne est toujours à gauche de la voie ferrée.” Un second résistant, Walter Gezzy, était avec nous. On a finalement choisi d’attendre. Le train a démarré", racontait Ange (aujourd’hui décédé) à Midi Libre il y a 10 ans. Les trois hommes arrivent à se placer sous la lucarne bardée de fils de fer et de planches de bois. Le train prend la direction de Bordeaux plutôt que la vallée du Rhône que les Allemands jugent plus “sûre”. Avec ses deux compagnons, ils décident de s’enfuir par la lucarne et tirent à la courte paille pour savoir qui d’entre eux s’échappera en premier. Ce sera Ange. Ils conviennent qu’il remontera la voie vers Bordeaux, tandis que Nuncio attendra les autres sur place et Walter, rejoindra Toulouse.
Les 57 jours d’un convoi vers l’enfer
Pendant 57 jours interminables, ce train de l’enfer va acheminer plus de 700 juifs, résistants espagnols, antifascistes italiens jusqu’au camp de concentration de Dachau. Un voyage vers la mort ralenti par les actes de sabotage de la résistance et des bombardements alliés mais que l’Allemagne nazi a malheureusement mené à destination dans un épouvantable acharnement.
Le train est parti de la gare de marchandises Raynal à Toulouse le 3 juillet.
Le lieutenant Baumagartner, chargé du convoi, préfère passer par Bordeaux qu’il estime plus sûr que le Sud. Mais alors que le train doit filer vers Angoulême pour rallier Paris puis l’Allemagne, il est bloqué et doit revenir en arrière à Bordeaux où il s’arrête du 12 juillet au 9 août. Les hommes sont entassés à la synagogue et les femmes à la caserne Boudet en attendant.Le convoi repart finalement.
Durant ces semaines, des bombardements alliés et des actes de sabotages de la résistance tentent de ralentir le convoi. Le train fait parfois demi-tour ou doit attendre que la voie soit réparée. Il y a des évasions ou tentatives d’évasion à chaque arrêt. Mais rien n’arrête le lieutenant Baumagartner tristement obstiné dans son effroyable projet de mener les déportés jusqu’à Dachau.
Le 11 et 12 août, le convoi s’arrête dans le Gard, à Nîmes-Saint-Césaire – ces jours-là, pour punir une nouvelle tentative d’évasion, le wagon reste fermé en plein soleil -puis à Remoulins du 13 au 17 août et à Roquemaure, le 18 août. Sous la chaleur du mois d’août, exténués et assoiffés, les détenus sont débarqués du train et doivent marcher jusqu’à Sorgues pour un transbordement car les ponts pour passer le Rhône sont impraticables après des bombardements.
Le 19 août, le train repart et est mitraillé. Quelques jours plus tard à Loriol, les détenus doivent encore marcher et traverser une rivière pour être entassés dans un autre train. Le 28 août, au bout de près de deux mois, le train fantôme arrive à Dachau.
Il reste 536 déportés. 160 se sont échappés et les autres sont morts durant ce tragique périple. Une partie est envoyée à Mathausen et les femmes à Ravensbruck. La moitié d’entre eux y mourront.
Dans la nuit du 3 juillet 1944, le train s’arrête dans la petite gare de Sainte-Bazeille dans le Lot-et-Garonne. Alors qu’il repart, Nuncio et Walter font la courte échelle à Ange. Ce devrait être facile pour lui de passer par la lucarne avec sa silhouette si mince et son jeune âge. Mais il doit avant cela, arracher les planches de bois et le fil barbelés qui obturent la lucarne.
Les mains en sang, il passe d’abord une jambe, puis l’autre avant de s’accrocher au rebord de la lucarne et de se laisser tomber. Il roule et se blesse à la tête. Pas le temps de s’appesantir sur sa blessure. Les Allemands l’ont repéré et lui tirent dessus. Le train est stoppé. Les SS sont à sa poursuite. "J’ai couru pendant 3 km sans m’arrêter. J’entendais les balles siffler."
Dans la nuit, Ange s’enfonce dans un sous-bois jusqu’à apercevoir la Garonne. Les Allemands abandonnent. Ange se jette dans le fleuve. Il est blessé et extenué mais lorsque de l’autre côté de la rive, il aperçoit une petite lumière et les silhouettes d’un homme et d’une femme, il sait qu’il est sauvé.
"C’était un homme et sa belle-fille qui avaient entendu les tirs. Ils s’appelaient Vidal et ils étaient fermiers. Ils m’ont réconforté, soigné, m’ont donné à manger et à boire. Le lendemain, il m’a donné un casse-croûte, un plan de l’almanach de la Poste, pour joindre la gare de Sainte-Bazeille et contacter le chef cantonnier Gabriel Bereza. Là, il m’a donné un bleu de travail et une casquette de la SNCF afin de passer inaperçu. Il m’a hébergé pendant quelques jours et m’a conduit au maquis Saint-Vivien, près de la Réole, en Gironde. Voilà comment d’une évasion prévue à trois, je fus le seul à m’en sortir ce jour-là." Nuncio parviendra à s’évader à Pierrelatte et Walter à Montauban. Ange continuera dans la résistance jusqu’à la fin de la guerre.
Au total, ils seront 160 à parvenir à s’échapper de ce train de l’enfer. Les autres, 536hommes, femmes et enfants, des juifs , des républicains espagnols entrés en résistance et d’antifascites italiens. Seulement, la moitié de ces déportés ne sont pas revenus.Terrible ironie du sort, le convoi est arrivé à Dachau le 28 août 1944 au moment de la Libération de la France.
A Sorgues, de l’humanité
Tout au long du trajet, les déportés sont traités de façon inhumaine. Seule Sorgues (dans le Vaucluse) a fait preuve de solidarité en apportant de la nourriture et en permettant des évasions. Le 18 août 1944, plus de 700 déportés arrivent à la gare de Sorgues, à bout de forces après une marche forcée de 17 km de Roquemaure à Sorgues. Au moment du transbordement, de nombreux habitants leur apportent de l’eau et de la nourriture, et des cheminots et maquisards les aident à s’évader. Une trentaine de déportés sont ainsi sauvés. Ils sont hébergés et cachés par les habitants durant plusieurs semaines.
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