“Psychoses, l’expressionnisme dans l’art et le cinéma” : l’exposition sombre et démente du Musée de Lodève
|Un extrait de “Nosferatu le vampire” de Friedrich Wilhelm Murnau (1921) est mis en dialogue avec “La mort s’empare d’une femme” de Käthe Kollwitz (1934). FRIEDRICH-WILHELM-MURNAU-STIFTUNG, WIESBADEN & STADTMUSEUM TÜBIGEN – Musee de Lodeve
La fantastique nouvelle exposition du Musée de Lodève s’intéresse à l’expressionnisme dans l’art et le cinéma jusqu'au 15 septembre. A ne surtout pas louper !
"Et quand il eut passé le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre". L’intertitre le plus célèbre de l’histoire du cinéma, dont les surréalistes ont fait leur mot de passe parce qu’il marque le passage d’un monde à l’autre, de l’état de conscience vers celui du rêve, appartient au film Nosferatu le vampire. Et voilà qu’à peine franchi le seuil de la nouvelle exposition du Musée de Lodève (bien avant donc que d’apercevoir le premier extrait dudit chef-d’œuvre de Friedrich Murnau) que sa formule, magique, revient à l’esprit… et que les esprits aussi.
Jusqu’au 15 septembre, l’exposition “Psychoses” s’intéresse à l’expressionnisme, dans la peinture, les arts graphiques et le cinéma, en mettant en scène tout au long de son parcours, les influences croisées entre les uns et les autres.
L’art de l’exaspération
Pour l’essentiel allemand, et d’abord pictural, le mouvement expressionniste (un vrai faux mouvement, en l’occurrence, et pluriel) naît au tournant du XXe siècle du rejet des formes considérées bourgeoises, académiques et aliénantes ; à savoir l’impressionnisme, le symbolisme, le naturalisme. Tout en restant majoritairement figuratifs, les expressionnistes se réclament d’une représentation subjective qui met l’accent sur « l’intensité de l’expression », par l’exaspération des formes, des contrastes, des sujets…
D’abord sourdement travaillé par les tensions engendrées par l’industrialisation et par les tourments nouveaux de l’urbanisation, l’expressionnisme prend un tour plus colérique, révolté, cauchemardesque, après la Première Guerre mondiale. Entre les horreurs concrètes et les traumatismes secrets de la guerre, le malaise social dans un pays défait et exsangue, et l’essor de l’approche psychanalytique des névroses et des psychopathologies, l’inspiration est optimale… mais pessimiste. C’est là que, à l’instar de la foudre, très brièvement mais très intensément, explose le cinéma expressionniste. Ses phosphènes déments hantent encore les rétines et les écrans un siècle plus tard.
Un parcours en trois temps
Riche de 120 œuvres d’art, 50 images fixes et 15 extraits de films emblématiques, l’exposition lodévoise chapitre son parcours en trois temps.
Le premier, “Départ et rupture”, met en relief le moment de bascule entre le rural et l’urbain, entre la nature et la machine, entre l’homme et le monstre. Après une première salle suggérant un reste d’harmonie, une projection de Metropolis de Fritz Lang (1927) nous accueille dans la salle suivante, consacrée à la ville, source de tous les fantasmes, les plus exotiques, excitants, mais aussi les plus horrifiques. Le conférencier d’Arthur Segal (1917) et Retour des mineurs de charbons de Conrad Felix Müller (1920) semblent anticiper le cauchemar totalitaire futuriste de Lang. Plus loin, c’est Nosferatu qui nous attend dans la pénombre (forcément), et aux cimaises, entre autres, l’hallucinant dessin Les idéologues de Max Beckmann (1920), la gravure L’assassin de plaisir d’Otto Dix (1920), les pièces insanes et sublimes de Kätte Kollwitz…
La deuxième séquence, “Rêve et traumatisme” (en allemand, le jeu de mots est plus probant : Traum und Trauma) se focalise sur la représentation des dérèglements de la psyché jusqu’à l’effondrement vers l’intérieur de l’individu mais aussi de la société. Aux images impressionnantes des films Sur les nerfs de Robert Reinert (1919), De l’aube à minuit de Karlheinz Martin (1920) et Le cabinet du Docteur Caligari de Robert Wiene (1920) répondent, notamment, des pastels paradoxalement douces et sombres d’Erich Drechsler et des fantastiques parangons de noirceur signés Bernhard Kretzschmar.
Enfin, la dernière section, “Forme et déformation” revient sur le langage formel proprement dit de l’expressionnisme : science de la composition dynamique, violence de ses clairs-obscurs, exagération des physionomies, distorsion des perspectives… autant de techniques pour rendre sensible ici un état d’esprit, là un état du monde. Saisissant rapprochement entre une image du Golem de Paul Weneger (1920) jouxte un autoportrait de Wilhelm Morgner, étourdissante collision entre un extrait du Dernier des hommes de Friedrich Murnau (1924) et des visions urbaines signées Lyonel Feininger, Ludwing Meidner…
À la vérité, d’autres associations nous viennent à l’idée. Avec le film noir, le cinéma gothique. le comics, la danse, le metal, le manga… Depuis qu’en entrant dans “Psychoses”, on a franchi le « pont », d’autres fantômes ne cessent pas de venir à notre rencontre. Faites le chemin inverse : allez-y, laissez-vous hanter !
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