“C’est une énorme déception, une frustration, voire même une colère” : l’analyse de Patrice Canayer après l’élimination de la France aux JO

"C’est une énorme déception, une frustration, voire même une colère" : l'analyse de Patrice Canayer après l'élimination de la France aux JO

L’équipe de France de Guillaume Gille a été éliminée en quarts des JO. Midi Libre / FFHB – Michael Esdourrubailh / Icon Sport

Grand témoin pour Midi Libre lors de ces Jeux Olympiques de Paris 2024, l'ancien entraîneur du MHB Patrice Canayer est revenu sur la défaite de l'équipe de France de handball lors des quarts de finale face à l'Allemagne (35-34), mercredi 7 août.

Comment analysez-vous cette défaite ?

C’est très compliqué d’analyser parce que quand tu perds comme ça sur le fil, tu as toujours tendance à voir le côté très négatif. Si tu avais gagné le match d’un but, tu aurais vu les choses de manière très positive. Si tu perds un but, tu les vois de manière très négative. Pourtant, la vérité est à rechercher entre les deux. Pour moi, c’est une énorme déception, une frustration, voire même une colère. Parce que c’est un match qu’on aurait dû gagner et qu’on n’a pas su gagner. Et ça, c’est décevant.

Le point positif, je dirais, c’est qu’on a retrouvé par moments un niveau de jeu qui est celui qu’on a l’habitude de voir avec notre équipe nationale. Mais par moments aussi, on est retombé dans un certain nombre de travers, de défauts. Ce qui fait qu’on n’a pas pu éliminer cette équipe d’Allemagne que pourtant, on a vraiment eu l’impression de dominer. Ce qui est clair, c’est que rien ne s’est passé comme les choses auraient dû se passer.

J’ai vu qu’il y avait eu le temps mort, c’est clair, il a été pris très vite. Après, dans ce genre de situation, quand tu ne le prends pas et que tu gagnes, t’es champion et quand tu le prends et que tu perds, il ne fallait pas le prendre. Donc la question, c’est qu’est-ce qu’on en a fait de ce temps mort ? Parce que ce n’est pas illogique d’avoir un temps mort à six secondes de la fin.

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Après, ce que je vois, c’est dans l’action qui a été jouée, on a joué ça comme au football américain en mettant la balle derrière. On est déjà un de moins, il y a quatre joueurs qui partent devant avec des appels de balles devant. Quand tu fais du handball à un moment donné, même dans des équipes de jeunes, tu apprends à conserver le ballon sur ce genre de situation, avec des joueurs qui tournent autour du porteur de balle et pas qui se jettent devant.

Mem a pris la parole pendant ce temps mort avant de perdre la balle, cela ne montre-t-il pas les limites de cette auto-gestion ?

Je ne sais pas si c’est la limite, peut-être que tu peux gagner comme ça. Après, les choix de la manière de manager, ils sont propres à chaque entraîneur et à chaque équipe. Ce qui est clair, c’est que j’ai toujours considéré qu’à un moment donné, il faut quelqu’un qui décide. Et que celui qui est le plus apte à prendre une décision dans ce genre de situation, parce que c’est son métier, parce que c’est lui qui a la tête la plus froide, parce que c’est lui qui est là pour ça, qui n’est pas dans la fatigue physique du match, pour moi, c’est le coach. Mais ce mode de management en équipe de France, il date depuis X années et ça ne les a pas empêchés de gagner des titres. En tout cas, ce n’est pas ma conception de la gestion des temps morts dans ces moments importants.

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Est-ce le plus gros échec de l’équipe de France depuis 20 ans ?

J’étais à Athènes en 2004 lorsqu’on a été éliminé en quarts de finale. On s’est posé les mêmes questions et l’équipe de France est revenue. Ce qui est important aujourd’hui, c’est de dépasser la frustration, la colère qu’il peut y avoir pour peut-être s’interroger. Soit tu dis c’est bon, c’est la faute à pas de chance et tout va bien. Soit, à un moment donné, tu te reposes, tu fais une vraie analyse et puis on se remet tous au travail.

Ce que je voudrais dire, c’est que quand l’équipe de France réussit, c’est la sienne, celle du staff, de tout le handball français et tous les entraîneurs tricolores. Quand une équipe connaît un échec et on peut parler d’un échec, c’est aussi la responsabilité de tout le monde. Ce n’est pas uniquement la responsabilité de Dika Mem ou de Guillaume Gille. Mais tout cela correspond à ce que je vois du handball français depuis déjà quelques années, qui s’explique aussi par les résultats des clubs français qui sont moins bons depuis 3-4 ans, tout comme les sélections de jeunes.

Les choix de Guillaume Gille n’ont pas payé, faudrait-il changer d’entraîneur selon vous ?

Ce n’est pas mon problème à moi. Je ne suis pas le président de la Fédération française de handball. Ce n’est pas mon problème. Ce que l’on peut dire, en toute honnêteté, c’est que globalement, tous les joueurs français sélectionnables étaient présents. Pour moi, je ne vois pas de scandale dans la sélection et dans les joueurs qui ont été retenus sur les 18, pendant la préparation. Je ne vois pas. Je l’ai dit et je le répète, j’aurais pris Nikola Karabatic moi aussi. En revanche, l’utilisation des joueurs, c’est autre chose.

C’est-à-dire ?

Quand on démarre la compétition avec Karl Konan ne jouant que dix minutes par match en défense, alors que l’on a pris un défenseur exclusif… À ce que je sache, Didier Dinart démarrait et finissait les matches… Valentin Porte a d’abord défendu à l’aile puis il est passé en poste 2 créant une vraie force avec Konan à droite, retrouvant donc une assise défensive.

N’y a-t-il pas un chantier concernant le jeu offensif laissé à la responsabilité des joueurs ?

Il y a un choix qui a été fait depuis des années. C’est un choix managérial et un choix stratégique qui est propre. Et ils ont gagné des titres avec ça. Un meneur gaucher c’est bien mais ne pas avoir un droitier ça peut poser des problèmes. L’utilisation du jeu des ailiers aussi… Mais c’est la responsabilité des joueurs, de travailler dans la continuité. On a des arrières qui, très souvent, prennent des tirs très vite. 

C’est leur choix. Ce qui est clair, c’est que ce choix-là a montré quand même, je pense, quelques limites. Mais je reviens sur un point dont j’avais beaucoup parlé, après notre élimination en Coupe d’Europe contre Kiel, c’est sur le facteur émotionnel. C’est-à-dire qu’il ne faut pas oublier qu’à un moment donné, on a dominé l’Allemagne. On était à + 6 avec des balles de + 7. Puis on les laisse revenir dans le match. Cette instabilité émotionnelle et tactique a fait qu’on peut jouer comme une équipe médaillable puis en étant très très vulnérable.

Le bel hommage à Karabatic, Porte et Gérard

Ce poste de sélectionneur pourrait-il vous intéresser ?

Ça ne m’effleure même pas à la tête. Je suis tranquille aujourd’hui pour en parler. À 63 ans, je pense avoir un peu d’expérience. Avoir une collaboration pour faire évoluer et travailler dans le bon sens, oui. Il y a plein d’autres postes que sélectionneur. Participer à une réflexion sur l’évolution du handball français masculin, savoir comment les choses peuvent évoluer, certainement.

Je pense qu’aujourd’hui, depuis 2018, les résultats français masculins, que ce soit les clubs européens, que ce soit l’équipe nationale, que ce soit les sélections de jeunes, sont moins probants. Je trouve par exemple qu’aujourd’hui, qu’il n’y a pas de jeune français de très grand talent pointer le bout de son nez en équipe de France. Tout le monde doit prendre une part de responsabilité, cela doit être un signal indicateur, peut-être d’une manière un petit peu différente de travailler, que l’on doit mettre en place demain.

Nikola Karabatic a pris sa retraite après ce match, qu’avez-vous ressenti ?

Tout le monde le sait, on a eu une fin de collaboration extrêmement difficile. Mais je ne peux pas perdre de vue qu’on a travaillé plus de dix ans ensemble et que je le connais quasiment depuis qu’il est né. C’est un immense champion et c’est le plus grand compétiteur que j’ai jamais entraîné. Je pense qu’on ne mesure pas aujourd’hui ce que représente l’arrêt de Nikola Karabatic. Pour moi, c’est un sportif et un champion hors normes qui va laisser un énorme vide dans le handball français. Ça, c’est clair. Mais le temps passe, il y a eu l’ère Richardson, il y a eu l’ère Karabatic, et maintenant, il faut savoir l’ère de qui va arriver pour reprendre le flambeau.

C’était aussi les derniers matches de Vincent Gérard et Valentin Porte…

Ce sont trois joueurs que j’ai entraînés et plutôt longtemps. Vincent, c’est le phénix. C’est celui dont on dit finalement, est-ce qu’on en a besoin ? Et puis qui, dans les moments importants, est là, comme il l’avait fait avec nous quand il nous a aidés à gagner la Ligue des champions. Ce n’est pas quelqu’un qui est dans une stabilité permanente, mais par contre, qui est dans la durée et qui est capable, dans les très grands rendez-vous, d’être très présent. Il a montré encore une fois, après une de ses autres galères, qu’il était véritablement un compétiteur lui aussi assez impressionnant. J’ai trouvé qu’il a fait des Jeux de très grande qualité. C’est un caractère, c’est une personnalité très généreuse, très controversée parce qu’il a quelquefois des attitudes qui peuvent être dérangeantes. Mais c’est aussi sa manière à lui de se motiver et d’avancer. Ça lui a permis de construire une très grande carrière. On perd quand même un gardien qui, à défaut d’avoir toujours fait l’unanimité, a toujours été extrêmement important dans les résultats de l’équipe de France.

Et votre ancien capitaine, Valentin Porte ?

Valentin, c’est plutôt d’un point de vue humain que je vais le situer. Quand tu fais ce métier-là, tu fais des rencontres sportives et des rencontres humaines. Avec Valentin, c’est à la fois une rencontre sportive mais aussi une rencontre humaine. C’est un garçon que j’ai adoré entraîner. C’est une personne que je vais prendre un grand plaisir à côtoyer une fois qu’il aura terminé sa carrière. J’ai été triste pour lui parce que j’aurais aimé que ça se finisse mieux pour lui. Mais c’est un garçon… Je ne veux même pas parler du joueur, mais au-delà du joueur, c’est un mec formidable. J’ai été très triste pour lui après le match.

Pensez-vous qu’il n’a pas eu la place méritée en équipe de France ?

Il incarne peut-être une manière de voir le sport collectif qui est en train de s’estomper, de disparaître. Une vision où chacun se met au service du collectif et où le secteur défensif est au moins aussi important que le secteur offensif. Je pense qu’il a très bien incarné la tradition du handball français et la continuité du handball français. J’espère que ce que pouvaient incarner Vincent, Nikola et Valentin sera repris par la jeune génération. Parce qu’il faut faire attention qu’on ne s’éloigne pas de ce qui a fait la force du handball français.

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