Guerre au Proche-Orient : des scènes glaçantes au cœur des urgences de l’Hôtel-Dieu à Beyrouth

Guerre au Proche-Orient : des scènes glaçantes au cœur des urgences de l’Hôtel-Dieu à Beyrouth

Beyrouth le 6 octobre après une nuit de bombardement. MAXPPP – Sylvain Rostaing / Le Pictorium

Les soignants restent depuis un mois sur le qui-vive et gèrent l’afflux de blessés estropiés.

À l’Hôtel-Dieu de France qui s’étend boulevard Alfred-Naccache dans le quartier Est de Beyrouth, les urgentistes restent depuis un mois sur le qui-vive. Un drapeau tricolore flotte à l’entrée de cet établissement privé qui dépend de la Faculté de Médecine de l’Université Saint-Joseph, à la suite d’un accord au 19e siècle entre le gouvernement français et les Pères Jésuites, à l’origine de cette faculté.

À chaque guerre, l’Hôtel Dieu a accueilli des Libanais de toute confession. Il a été bombardé à plusieurs reprises mais n’a jamais fermé. Avec les bombardements israéliens des caches d’armes de la milice chiite du Hezbollah dissimulées dans la banlieue sud, ils savent qu’à tout moment, ils peuvent recevoir un nouvel afflux de blessés. Même si la majorité des habitants ont fui. C’est en fait le 17 septembre dernier qu’Israël a commencé d’une manière inédite sa riposte pour détruire la hiérarchie de cette milice pro iranienne, et ses missiles pour qu’elle ne puisse plus les tirer contre son territoire.

Un Jour J qui a débuté par l’explosion de milliers de pagers, ces petits appareils à messagerie qui équipaient les cadres du Parti de Dieu. À la même heure, ils ont tous sonné par milliers, et explosé quand l’utilisateur a appuyé sur le bouton. Une opération minutieusement préparée depuis des années par le Mossad, les services secrets israéliens, qui ont mis hors de combat près de 2 000 responsables de la milice, sans avoir tiré un obus. Le lendemain, les talkies-walkies des miliciens explosaient à leur tour. Une hécatombe.

"Vers 16 h 30, on a vu arriver des blessés aux doigts arrachés, qui avaient perdu un ou deux yeux", se souvient le docteur
Joëlle Khadra Eid, une urgentiste qui a fait ses études à Reims, Grenoble et à Paris, à l’hôpital Bichat.

"Il a fallu faire un tri"

"On a déclenché le plan blanc, car les urgences étaient déjà pleines, et rappelé nos collègues qui étaient chez eux. Pour éviter qu’ils étouffent à cause de leur œdème, on en a intubé une vingtaine de patients pour sauver leur voie respiratoire. Les 14 blocs tournaient en même temps, avec des chirurgiens ophtalmologues et orthopédistes. 43 ont été opérés des yeux. Les blessures étaient graves, et suscitaient de l’incompréhension et de la tension, explique le docteur. Ils avaient autour de la trentaine, sauf deux enfants de 4 et 9 ans. Il a fallu interrompre les interventions pour répondre aux familles qui demandaient pourquoi on ne pouvait pas laisser l’œil touché, car avec l’infection, le patient risquait de perdre le second. 'Comment ça se fait que vous amputez un bras sans nous demander l’autorisation', s’insurgeaient des accompagnants. Il a fallu faire preuve de pédagogie. A un moment, certains ont parlé d’aller en Iran pour se faire soigner. Puis ils ont abandonné l’idée."

Les hôpitaux étant débordés dans la banlieue sud, les blessés du Hezbollah s’étaient rabattus avec une certaine méfiance sur cet établissement chrétien à la réputation pourtant excellente.

Ophtalmologiste franco-libanais, le Dr Dany El Alam a lui, opéré à l’hôpital St Georges. Avant de débarquer, il guidait par téléphone depuis Paris son interne au bloc, car me dit-il, "pour les plaies des yeux, il faut faire très vite. Il a fallu faire un tri. Ceux qui voyaient la lumière étaient conduits au bloc en premier. Les proches d’un patient qui avait perdu les deux yeux, demandaient si on pouvait les remplacer en Chine ou en France. Il a fallu leur expliquer que ça n’existe pas. C’était vraiment horrible. Un homme qui avait perdu les deux mains et les deux yeux réclamait, lui, qu’on lui enlève son bandeau, pour voir ses enfants. Il n’avait pas réalisé qu’il ne les verrait plus jamais".

Je m’abonne pour lire la suite

Add a Comment

Your email address will not be published. Required fields are marked *

(function(d,s){d.getElementById("licnt2061").src= "https://counter.yadro.ru/hit?t44.6;r"+escape(d.referrer)+ ((typeof(s)=="undefined")?"":";s"+s.width+"*"+s.height+"*"+ (s.colorDepth?s.colorDepth:s.pixelDepth))+";u"+escape(d.URL)+ ";h"+escape(d.title.substring(0,150))+";"+Math.random()}) (document,screen)