Atteinte de la maladie des os de verre, la Montpelliéraine Fabienne Sicot va gravir un des plus hauts sommets du monde sans oxygène

Atteinte de la maladie des os de verre, la Montpelliéraine Fabienne Sicot va gravir un des plus hauts sommets du monde sans oxygène

Fabienne Sicot est la 14e Française à avoir gravi l’Everest. La première femme poly-handicapée. Midi Libre – KATYA SHABUT

La vie de l’infirmière montpelliéraine a basculé quand deux handicaps lui ont été diagnostiqués : maladie des os de verre et spondylarthrite ankylosante. Elle pourrait juste attendre d’être un jour dans un fauteuil roulant. Pourtant, après l’Everest l’an dernier, elle grimpera bientôt le Manaslu. Et sans oxygène.

Elle a l’Everest dans la peau. Littéralement. Sur son bras droit, un tatouage dessine la plus haute montagne du monde qui culmine à 8 849 mètres. Il lui rappelle que le 18 mai 2023, à 8 h 17, elle est devenue la 14e alpiniste française à avoir foulé son sommet. Il traduit surtout, insiste Fabienne Sicot, "qu’on est tous capables de déplacer des montagnes si on s’en donne les moyens. Ce projet, c’est un cri à la vie que tout est possible", souffle-t-elle.

Car il y a cinq ans, l’Héraultaise de 39 ans, infirmière en cardiologie au CHU de Montpellier et mère de trois enfants, se déplaçait en fauteuil roulant, affaiblie par deux affections génétiques : la spondylarthrite ankylosante, diagnostiquée dix ans après l’ostéogenèse imparfaite, plus connue sous le nom de maladie des os de verre. La première provoque une inflammation chronique des articulations et un enraidissement sévère, la seconde fragilise les os et engendre des fractures fréquentes. "J’en ai cumulé 70 jusque-là", décompte-t-elle.

L’illustration de la réussite de la médecine

À terme, la suite inéluctable de ses deux "colocs", ainsi qu’elle appelle ses maladies, c’est "la perte d’autonomie". "Mais aujourd’hui, je marche, je cours, je peux aller au plus haut et poser mes yeux sur le monde qui nous entoure", ajoute-t-elle aussitôt dans un grand sourire, décrivant en détail la vue depuis le toit du monde, "des sommets enneigés à 360 degrés et à perte de vue". La définition même de la résilience.

Sa rhumatologue dit d’elle qu’elle est "l’illustration de la réussite de la médecine", la démonstration "qu’un bon traitement, sur un patient qui réagit bien, permet d’avancer dans la vie". Fabienne Sicot approuve. Elle ouvre d’ailleurs des cagnottes en faveur de l’Inserm à chacune de ses expéditions, "ma façon de rendre à celles et ceux qui œuvrent dans l’ombre pour permettre aux malades et leurs familles de vivre à nouveau". Après les 1270 € récoltés pendant qu’elle affrontait l’Everest, elle s’apprête donc à relancer un appel aux dons.

Atteinte de la maladie des os de verre, la Montpelliéraine Fabienne Sicot va gravir un des plus hauts sommets du monde sans oxygène

Fabienne Sicot, à l’entraînement, piolets en mains. DR

Dans deux mois en effet, elle s’envolera à nouveau vers le Népal pour un autre défi : gravir le Manaslu, 8163 mètres, le huitième sommet du monde réputé pour être l’un des plus dangereux. Malgré les traces laissées par l’Everest, une hémorragie interne à la jambe après qu’elle ait été percutée par une énorme pierre – qui aurait pu la tuer – et des gelures. "J’y retourne parce que décider de ce que je souhaite voir est un choix qui m’appartient encore. Parce que ressentir la douleur de l’effort, du corps qui lutte, c’est se sentir vivant. Et parce qu’après avoir vécu une expédition sur un 8 000 (mètres) avec toutes les situations incroyables, riches, douloureuses, sincères, la vie prend une saveur encore plus intense", dit-elle.

"Ressentir la douleur de l’effort, du corps qui lutte, c’est se sentir vivant"

Si son choix s’est porté sur ce pic pyramidal qui émerge d’un vaste glacier, ouvert en 1956 par des Japonais, c’est parce qu’elle avait d’abord songé au Manaslu quand elle a décidé, en 2020, de surmonter son handicap dans l’Himalaya et vivre ainsi pleinement sa passion pour l’alpinisme, héritage paternel. "Le Manaslu devait être une première étape avant l’Everest. Puis, je me suis dit que la maladie ne me laisserait peut-être pas le temps d’aller deux fois au Népal alors j’ai tout de suite voulu viser le plus haut. Mais puisque la vie me le permet, j’ai très vite décidé d’y retourner, aussi pour boucler la boucle. De ce sommet, j’aurai vue sur l’Everest et ce sera aussi pour moi le moment de réaliser que j’ai réussi son ascension".

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Fabienne Sicot, au sommet de l’Everest.

Steve, son compagnon, n’a pas eu d’autre choix que d’accepter cette nouvelle expédition. "C’est ce qui lui permet de se sentir vivante, elle en a besoin. Il faut donc faire abstraction de tout, pour l’accompagner au mieux", dit-il. "Tout", c’est d’abord le danger que représente l’ascension d’un "8 000", au-dessus de la zone de la mort. Lorsqu’elle était sur l’Everest, le GPS de Fabienne s’est arrêté à cause du froid, – 50°C.Steve, qui suivait son périple depuis Montpellier, est resté sans nouvelle pendant 17 heures. Une éternité. "C’était très très stressant, mais ça fait partie du jeu. Il ne faut juste pas nier la peur, ça permet d’être vigilant notamment dans la préparation", concède-t-il, lui qui s’occupe justement de son entraînement.

"Pas de place à l'improvisation"

"Je n’ai pas l’impression de prendre des risques inconsidérés, parce que je sais que l’alpinisme ne laisse pas la place à l’improvisation. Je me suis préparée pendant plus de deux ans pour l’Everest et je suis un protocole tout aussi intense pour le Manaslu", reprend Fabienne. Plus poussé même, car elle va cette fois affronter la montagne en conditions hivernales, avec un froid accru et des risques plus importants de tempêtes, et fait le choix d’aller jusqu’au sommet sans apport d’oxygène. "Sur l’Everest, j’ai trouvé le masque inconfortable et je n’ai pas aimé la sensation d’en être dépendante. Si tu épuises tes réserves dans la zone de la mort, là, tu prends vraiment un risque", justifie-t-elle.

Un cercle très fermé

Elle a donc adapté sa préparation, multiplie les séances de cryothérapie, six minutes d’un bain de grand froid (à – 90°) où elle travaille sa respiration "pour limiter l’apport d’oxygène". Au mois d’août, elle sera accueillie au Creps de Font-Romeu, "un honneur", pour s’entraîner voire dormir en hypoxie, c’est-à-dire avec des appareils qui reproduisent le niveau d’oxygène à 6 000 mètres. "C’est une torture, mais l’objectif est d’apprendre à gérer ses sensations et son corps en très haute montagne", détaille-t-elle. "Je sais qu’elle ne lâchera rien. Elle a énorme mental, une incroyable abnégation. Peu importe la marche qui se présente à elle, elle va la franchir pour passer à celle d’après", décrit Steve, "admiratif".

Depuis le Népal, Rinji Sherpa, qui dirige l’agence Adventure High Mountain qui l’a accompagnée pendant dix semaines jusqu’à l’Everest, décrit aussi une alpiniste "courageuse, coriace. Malgré ses maladies, elle n’a pas pensé une seule seconde à abandonner. Physiquement et techniquement, elle était très bien préparée. J’étais sûr à 99 % qu’elle irait au sommet". Il a donc accepté de la suivre dans ce nouveau défi et confiera encore au sherpa Mingmar Tamang, 54 ans, le soin de la guider sur les pentes du Manaslu. "Il devait arrêter mais pour moi, il a accepté ce dernier sommet. C’est rassurant car nous formons un binôme solide. Il ne me considère pas comme une handicapée et ne me fait pas de cadeau. C’est ainsi que nous avons tissé une relation de confiance qui nous a permis d’éviter les obstacles sur l’Everest et de gérer ma blessure dans la descente", analyse-t-elle. Rinji Sherpa, lui, est persuadé que le duo "ira en haut, même avec ce défi hors normes qu’elle s’impose". Fabienne nuance, rappelle tous les paramètres qui entrent en jeu dans une ascension, "particulièrement la météo. Il faut aussi avoir un peu de chance", dit-elle. Résiliente et humble.

Atteinte de la maladie des os de verre, la Montpelliéraine Fabienne Sicot va gravir un des plus hauts sommets du monde sans oxygène

Sur les pentes de l’Everest, Fabienne Sicot et son sherpa. DR

Pourtant, si elle réussit son pari de vaincre le Manaslu sans oxygène, Fabienne Sicot intégrerait un cercle très fermé d’himalayistes, dont le premier membre n’est autre que la légende Reinhold Messner. Ce n’est pas tant ce qu’elle veut laisser dans l’Histoire. "Je souhaite surtout donne envie à d’autres personnes de réaliser leurs rêves, de vivre des défis qui leur ressemblent", sourit-elle. Pour elle, après le Manaslu, ce pourrait être une expédition en Antarctique. Il reste, sur ses bras, la place pour de nombreux tatouages.

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Bientôt sur le Manaslu

C’est fin août que Fabienne Sicot s’envolera à nouveau pour le Népal et rejoindra, au terme d’une semaine de trek depuis Katmandou, le camp de base du Manaslu, à 4750 mètres d’altitude. Pendant un mois, l’alpiniste héraultaise va d’abord s’acclimater et pour cela effectuer des rotations vers les camps 1 (5 700m), 2 (6 250 m) et 3 (6 780 m). Lorsque la météo le décidera, elle pourra alors s’élancer avec son sherpa pour l’ascension finale vers le sommet, situé lui à 8 163mètres. « Il y a toujours la peur de l’échec, la peur aussi de manquer d’air cette fois. Mais je sais que j’aurais encore fait tout ce qu’il faut et que je ne lâcherai rien. J’espère surtout, au bout des six semaines, faire le trek de retour », dit-elle. L’an passé, sur l’Everest, Fabienne, blessée, avait dû être héliportée depuis le camp 2.

Favorite du festival What a Trip

Au moment même où elle sera sur le Manaslu, Fabienne Sicot sera aussi à l’affiche du festival du film et d’aventures de Montpellier, “What a trip” (26 septembre – 1er octobre). Le film “Le piolet de verre” réalisé par Amélie Mauro et relatant sa préparation et l’ascension de l’Everest, sera en compétition officielle. L’an dernier, l’alpiniste était déjà membre du jury. « Fabienne, c’est une vraie aventurière, tant elle dépasse toutes les limites. Celles que sa maladie lui impose, mais aussi la peur ou tout simplement les limites physiques qu’une telle expédition peut représenter », décrit Romain Tarrusson, le président du “WAT”. Lui, est notamment impressionné par « son humilité. Je m’attendais à rencontrer une Mike Horn au féminin, et pourtant, elle raconte l’Everest comme si elle avait monté le Pic Saint-Loup ». Le film, pense-t-il, sera l’un des favoris du festival. « Il nous fait passer du rire aux larmes, sans verser dans le pathos, et à la fois, on prend une grande claque ». Fabienne se dit « honorée ». Elle espère pouvoir intervenir depuis le Manaslu le soir de la projection, le 26 septembre.

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