En immersion avant les législatives : “Quand on s’appelle Moussa, l’ère Bardella on la vit déjà”, La Grand-Combe, fief communiste, résiste

En immersion avant les législatives : "Quand on s’appelle Moussa, l’ère Bardella on la vit déjà", La Grand-Combe, fief communiste, résiste

Moussa Bedjaoui : “Le RN fait son beurre avec le pouvoir d’achat”. Midi Libre – DORIAN CAYUELA

Et vous, que pensez-vous de la situation politique du pays ? Quel est l’enjeu des législatives à venir ? Vous y croyez encore ? Pendant une semaine, Midi Libre part à la rencontre des habitants d’Occitanie, loin des appareils de partis et des paroles d'experts : sur le littoral de Valras, avec les pêcheurs et les amoureux de la mer, les éleveurs et les agriculteurs des villages de la Montagne noire où paissent les brebis et les vaches Gasconne, auprès des habitants de la ville moyenne de Narbonne, des Métropoles de Nîmes et Montpellier, avec les ouvriers de la ceinture industrielle de Rodez, au coeur battant de la ville de carte-postale d’Uzès, prisée des Parisiens l’été. Première étape à La Grand-Combe, ancienne cité minière déclassée, un des derniers bastions du parti communiste.

"Pas le temps". À deux pas de l’église Notre-Dame-de l’Immaculée Conception, "la plus grande église du Gard", héritage des plus belles heures de la cité minière, précisent les habitants fièrement, Laetitia et Didier, 37 ans et 33 ans, se hâtent. Il y a les surgelés accrochés à la poussette et l’heure du déjeuner approche pour la petite de 18 mois. Mais c’est des élections qu'il s'agit.

"Moi, je pense à l’argent, mon loyer, ma fille… la politique, il faut du temps pour s’y intéresser", explique, cash, la jeune femme, arrivée de Lunel en famille à la recherche de conditions "plus raisonnables par rapport à nos revenus". Elle laisse voter "ceux qui dominent", "les plus vieux", "ceux qui ont une meilleure vie".

Pas sûr que les électeurs de La Grand-Combe, régulièrement classée "commune la plus pauvre de France",  avec un chômage à 40 % malgré les efforts de reconversion du site, quarante-cinq ans après la dernière extraction de charbon, se reconnaissent dans le tableau. Près d'un électeur sur deux ne s'est pas moins déplacé, le 9 juin pour donner deux-tiers des voies à la gauche et pousser les communistes en tête, une exception sur un territoire inexorablement grignoté par l'extrême droite.

"Lui, là-bas, c’est un "rouge" ! Saïd (seuls, les prénoms des personnes interrogées sont donnés selon leur souhait), Ismaël, Ali Henri Korichi et Brahim, septuagénaires souriants, savent déjà ce que cherchent les médias. Il y a quelques, jours, Libération enquêtait sur le "fief communiste gardois". "Et l’an dernier, c’était Marianne".

En immersion avant les législatives : "Quand on s’appelle Moussa, l’ère Bardella on la vit déjà", La Grand-Combe, fief communiste, résiste

Sur la place Jean-Jaurès : Saïd, dit “Sambron”, Ismaël et Ali-Henri Korichi : “Il est fort au ballon, Mbappé, il est peut-être nul en politique”. Midi Libre – DORIAN CAYUELA

Trois d’entre eux votent, et Brahim qui n’est "pas Français" ne suit pas moins la politique : "Les anciens, oui, ils étaient rouges. Aujourd’hui, ça dépend des quartiers et des communes. Les Salles, Le Martinet, Branoux, c’est FN aujourd’hui".

"Ce que j’entends, c’est la bordélisation"

"Moi, ce que j’entends de la situation actuelle, c’est la bordélisation", lâche Saïd, Sambron disent les copains, "parce qu’ici tout le monde à un surnom". Le sien, "une marque d’élévateur", lui a été donné quand il a commencé à travailler dans les travaux publics. À cette époque-là, il "n’avait pas besoin qu’une personnalité lui dise d’aller voter. Mbappé, il est fort au ballon, mais il est peut-être nul en politique, non ?"

À la retraite, au prix d’un Smic, "à la fin du mois on arrive à zéro" : "Maintenant, les politiques veulent tout donner, mais après, il n’y aura plus rien. Chacun prêche pour sa paroisse. Le Smic à 1600 euros, s’il n’y avait pas eu ces élections, on n’en aurait jamais parlé", ne s’illusionne pas le quatuor, pas vraiment inquiet de la suite : "Ce n’est pas une histoire de racisme, les gens en ont marre de tout. Même la Bretagne a voté RN !", dit Ali Henri Korichi.

Sur le terrain de boules, tout à l’heure, ce sera "50/50 entre l’extrême-droite et l’extrême-gauche, "on sait vite qui vote RN mais on ne parle pas de politique", confient-ils, paisibles.

Ce qui inquiète, c’est "le cordonnier qui ferme à la fin du mois". Et "un podologue qui part en septembre". Déjà qu'"à part Netto et Intermarché, y’a pas grand-chose…"

"Y’a Dave le 28 juin sur la place", annonce, à l’heure du déjeuner, le patron du seul restaurant du centre ville, le Restaurant de La Poste,  qui se hérisse quand on lui parle politique : "Je n’ai jamais voté de ma vie, ça change quoi ? L’Assemblée nationale, c’est le Muppet Show. Et maintenant, on va mettre un gamin Premier ministre ?"

On revient à l’essentiel : "Vous savez combien je paye d’électricité ? 800 euros par mois, pour la hotte et la friteuse ! J’ai cru que c’était la facture de l’immeuble". À 60 ans, dont 42 de travail, pas question de prendre la retraite. Ni de voter, dit-il : "Je n'ai jamais voté de ma vie, ça change quoi ?"

"Le sentiment d’avoir un pistolet sur la tempe"

En immersion avant les législatives : "Quand on s’appelle Moussa, l’ère Bardella on la vit déjà", La Grand-Combe, fief communiste, résiste

Emilie Maurin, coordinatrice de la maison de santé : “Sur un territoire, il faut des écoles et de la santé. On n’est pas le pire des territoires”. Midi Libre – DORIAN CAYUELA

"J’espère que le résultat des élections ne va rien changer, on est dans une belle dynamique", notre, optimiste, Emilie Maurin qui coordonne la Maison de Santé, bâtiment imposant érigé en 2018 à l’entrée sud de la ville, avec "47 professionnels, dont 14 exercices différents", et de la prévention tous azimuts, "pour le bien grandir, le bien vieillir, le dépistage de l’apnée du sommeil, un lieu d’accueil parent enfant…"

Certaines actions sont menées avec le SEP, le service d’entraide protestant, un interlocuteur incontournable pour les plus précaires.

Un peu plus loin que la sortie Nord de la commune, dans le hameau sinistré de Trescol, le SEP a investi le temple monumental construit en 1868. Depuis le 3 juin, un café solidaire y ouvre certains après-midi "pour répondre à une problématique : il n’y a plus de lieu de socialisation", dit Jean-Paul, employé au SEP, en proie à "un vrai cas de conscience pour les élections".

En immersion avant les législatives : "Quand on s’appelle Moussa, l’ère Bardella on la vit déjà", La Grand-Combe, fief communiste, résiste

Jean-Paul (de face), employé du Sep, le service d’entraide protestant, ici avec William Regruto, pasteur : “J’ai un cas de conscience pour les élections”. Midi Libre – DORIAN CAYUELA

En immersion avant les législatives : "Quand on s’appelle Moussa, l’ère Bardella on la vit déjà", La Grand-Combe, fief communiste, résiste

Ludwig Molines, 25 ans, apprenti menuisier : “S’il y a de la mobilisation, il peut sortir du bon”. Midi Libre – DORIAN CAYUELA

"Entre l’extrême-droite et l’extrême-gauche, on fait quoi ? On va de crise en crise et voilà qu’on nous en colle une autre… Je suis très en colère par rapport à ce qui se passe, j’ai le sentiment d’avoir un pistolet sur la tempe", témoigne le Gardois.

Dans ce lieu où s’entassent vêtements à donner et gros électroménager qui meubleront bientôt les appartements de ceux qui n’ont rien, "on parle beaucoup de politique". "Quand on s’appelle Mohamed, Rachid ou Moussa, l’ère Bardella, on la vit", constate Moussa Bedjaoui, 54 ans, en grande discussion avec Claude Grozia, 65 ans qui s’est "remis à voter" après avoir déserté les urnes pendant quarante ans. 

Ludwig Molines, lui, y croit : "La politique est le seul levier pour influencer la vie des gens", glisse l'apprenti, concentré sur une pièce en bois, dans la menuiserie attenante au temple. À 25 ans, il termine sa formation après s'être égaré dans un Master qui le destinait dans l’enseignement. : "J’ai un peu plus de chance que les autres". D'y croire, déjà : "S'il y a de la mobilisation, il peut sortir du bon". 

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Marc Jouve, rattaché à la Maison du mineur, est l’auteur de nombreux documentaires sur l’histoire locale, dont “Ici commence le pays de la liberté”, en 2023. Midi Libre – DORIAN CAYUELA peut

“La solidarité, c’est ancré, je ne sais pas si ça durera”

Fils et petit-fils de mineur Marc Jouve, 63 ans, agent du patrimoine à la Maison du mineur, est l’auteur de nombreux documentaires sur l’histoire de la cité minière.

La Grand-Combe a encore voté communiste aux élections européennes, une exception…

C’est en train de changer. La Grand-Combe, c’est une population cosmopolite. Les premiers mineurs étaient des Ardéchois, catholiques, puis on a fait venir les Lozériens, protestants. Après la guerre de 14-18, il a fallu de la main d’oeuvre, les Polonais, puis les Italiens, puis les Algériens en 1928, les Africains du Nord, les Bulgares, les Russes, les Tchèques… il y a eu plus de vingt nationalités. Comment voulez-vous être raciste ici ?

A nos premiers contacts, vous avez dit d’emblée "La politique, ce n’est pas mon truc" Mais vous faites des films sur la Résistance, la fraternité, le courage…

Peut-être que quelque part, je fais de la politique, mais ça ne m’a jamais intéressé. Et je ne sais pas si je suis de gauche. Dans "Ici commence le pays de la liberté", mon dernier documentaire, on montre des mineurs qui se sont battus contre le nazisme après que les Allemands ont pris le Puits Ricard, en 1941. Mon grand-père devait partir à Dachau, et tant d’autres.

Le problème, pour moi, c’est que les gens ne savent plus quoi voter. Ils sont perdus. Dans "Ici commence la liberté", j’ai mis des images du Général de Gaulle. Certains m’ont dit "Il ne falllait pas mettre de Gaulle". Et j’ai mis Jean Ferrat avec "Ma France". On m’a dit : "Pourquoi tu as mis "Ma France" ?" Vous voyez… J’entends "On va les essayer". Essayer quoi ? Sous la peau de mouton, se cache un manteau de loup.

L’histoire, dont vous cultivez la mémoire, est utile dans le contexte actuel ?

Ma maman, 95 ans, a pleuré lorsque le résultat des Européennes est tombé. Elle me disait qu’elle revivait ce qui s’est passé en 1939, avec les mêmes problèmes, la même atmosphère. Il y a du pognon en France, c’est un grand pays, mais c’est mal réparti, et les politiques ne sont que des pions. Ce sont les grandes familles riches qui dirigent.

Qu’est-ce qui fait que la Grand-Combe reste, encore communiste ?

Il y a eu la guerre de religions, 1702-1708, il y a eu 14-18, avec 423 mineurs de la Grand-Combe morts pendant cette Première guerre mondiale, 39-45, et le maquis. Dès 1947, les mineurs ont fait double poste pour remonter la France. En 1948, ils ont fait une grève de 56 jours pour une meilleure paye, plus de congés. Et aussi en 52… des mecs ont fait six mois de prison pour ça, ont été révoqués. Ils ont tout perdu. On a toujours été rebelles. Les mineurs étaient fiers. Il fallait y aller, au fond, par 45 degrés, tailler du charbon à poil. En même temps, un ouvrier pouvait gagner des sous. J’ai vu mon père payer des voitures neuves cash. Il travaillait tellement. On pouvait gagner plus qu’un ingénieur. En 1978, rapporté à la situation actuelle, le salaire mensuel pouvait atteindre 9000 euros !

Et à la mine, dès qu’il y avait un accident, tout s’arrêtait, on ne regardait pas si c’était un Polonais.

Ce qui compte, c’est la liberté et la fraternité. Il y a de la solidarité, c’est ancré et ça se perpétue, je ne sais pas si ça durera. Mon grand-père disait "Des salopards, y’en a pas chez nous". Mais le RN a explosé dans les villages autour, ça fait peur, je ne sais pas comment ça va se terminer.

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