“Mais de quoi parlez-vous ?” : l’interdiction de fumer à la plage, mesure choc du plan anti-tabac promise pour l’été, déjà enterrée ?

"Mais de quoi parlez-vous ?" : l’interdiction de fumer à la plage, mesure choc du plan anti-tabac promise pour l’été, déjà enterrée ?

À Palavas, au début du printemps : frileux pour la baignade, et la cigarette sur le sable. Midi Libre – SYLVIE CAMBON

Qu’est devenu le dispositif phare du programme national 2023-2027 de lutte contre le tabac, dévoilé le 28 novembre dernier, l’interdiction de fumer à la plage ? Six mois après, le décret d’application n’est pas passé, et la promesse est, pour beaucoup, oubliée.

"Mais de quoi parlez-vous ?" C’était pourtant la mesure phare du programme national de lutte contre le tabac, présenté il y a six mois par le ministre de la Santé Aurélien Rousseau : "Il sera désormais interdit de fumer sur les plages", annonçait le Cévenol le 28 novembre dernier, en promettant aussi d’augmenter le prix des cigarettes pour tenter d’enrayer une consommation qui ne faiblit pas, et qui tue, chaque année, 75 000 personnes en France.

Un quart des Français fume, rappelle l’enquête de Santé publique France publiée ce mardi 28 mai, à quelques jours de la journée mondiale de lutte contre le tabac, le 31 mai.

Ces six derniers mois, le prix des cigarettes a été augmenté deux fois mais la promesse d’un bord de mer sans mégots, pourtant plébiscité par les Français (81 % de personnes y sont favorables, selon un sondage Ipsos de 2020), est quasiment tombée dans l’oubli, après qu'Aurélien Rousseau a laissé son fauteuil au duo Catherine Vautrin/Frédéric Valletoux.

Jean-Michel Weiss, policier municipal : “Lorsqu’on annonce une mesure et qu’on ne fait rien pour qu’on la respecte, il ne se passe rien”

"Le décret n’est pas sorti", et Jean-Michel Weiss l’admet, il est "soulagé". Le secrétaire national de la fédération autonome de la fonction publique territoriale, en charge de la police municipale, et chef de la police municipale de la Grande-Motte qui accueille ce mercredi 29 mai le salon des polices municipales d’Occitanie, a parfaitement en tête les annonces du ministère de la Santé, il y a six mois.

Mais pour lui, "l’alignement des planètes n’est pas au rendez-vous pour mettre en place ce type de mesure, dans une année où les CRS ne seront pas engagés sur les plages, et les escadrons de gendarmerie mobilisés sur les Jeux olympiques".

Pour lui, l’été 2024 sera une saison blanche : "Lorsqu’on annonce une mesure et qu’on ne fait rien pour qu’on la respecte, il ne se passe rien".

Et sur le fond, il n’est d’ailleurs pas convaincu de l’intérêt : "C’est un épiphénomène qui demande l’engagement de beaucoup de moyens".

En ce mois de mai, le ministère de la Santé, sollicité à de nombreuses reprises par Midi Libre, est aux abonnés absent. Son représentant en Occitanie, le directeur de l'Agence régionale de santé Didier Jaffre, a du mal à cerner le dispositif. Ses équipes préciseront que si la mesure existe bien, c’est "le seizième point du plan national de lutte contre le tabac", il revient "aux préfets et aux élus d’adapter la norme aux spécificités locales". 

Les préfets sont muets depuis des semaines sur le sujet, avant même d’être soumis au droit de réserve qui s’impose en période électorale.

Les élus, impatients ou soulagés, qui, pour certains, n’ont pas attendu le gouvernement pour agir, via des arrêtés, parlent un peu plus.

Jean-Michel Solé, maire de Banuyls-sur-mer : "On ne va pas être des Ayatollah"

"Le décret n’est toujours pas sorti, on ne peut pas l’appliquer, mais on réfléchit déjà à des solutions pour le mettre en place", assure Carole Fafue, responsable de la communication et de l’événementiel à la mairie de Banuyls-sur-Mer, dans les Pyrénées-Orientales. Le texte était promis au premier trimestre 2024.

"Mais de quoi parlez-vous ?" : l’interdiction de fumer à la plage, mesure choc du plan anti-tabac promise pour l’été, déjà enterrée ?

À Banyuls-sur-Mer, dans les Pyrénées-Orientales, la municipalité attend le feu vert du gouvernement.

La mairie catalane, qui a pris un des premiers arrêtés d’interdiction d’Occitanie, sur la plage du Sana, en 2016, veut, sans attendre, passer sa plage la plus urbaine en zone "non-fumeur". "On n’est pas des Ayatollah", assure le maire (divers droite) Jean-Michel Solé, très concerné, pour la santé de ses administrés et surtout "contre la prolifération des mégots", qui parle déjà au présent : "C’est obligatoire, mais on va essayer d’appliquer ça avec parcimonie".

"On ne s’est pas précipité vers les annonces d’Aurélien Rousseau"

Au Grau-du-Roi, Robert Crauste (divers centre), ancien médecin, a déjà deux plages sans tabac, sur arrêté municipal. Si le dispositif devait se généraliser, il ne voit pas comment l’appliquer à l’Espiguette, par exemple : "La répression, c’est difficile".

"Mais de quoi parlez-vous ?" : l’interdiction de fumer à la plage, mesure choc du plan anti-tabac promise pour l’été, déjà enterrée ?

Des plages sans tabac encore à l’initiative des maires, comme ici au Grau-du-Roi. Midi Libre – Midi Libre

En attendant, il constate que "les choses se sont beaucoup arrangées, les comportements citoyens progressent".

"On ne s’est pas précipité sur les annonces d’Aurélien Rousseau", admet Yvon Bourrel, maire (DVG) de Mauguio Carnon, qui s’inquiète de la mise en oeuvre de l’interdiction : "Il y a de la pédagogie à faire, au risque d’instaurer un dispositif que l’on ne pourra pas faire respecter, et qui va nous mettre en difficulté".

Cette année, la commune a préparé une autre campagne, anti-mégots, qui menace de 180 euros quiconque "oublierait" ses résidus de cigarette sur le sable : "Ma plage n’est pas un cendrier". À s’y méprendre avec l’entrée en vigueur du dispositif fantôme du gouvernement.

Ces plages où on ne peut déjà plus fumer

La commune de Fleury d’Aude a été la première à prendre un arrêté d’interdiction de fumer à la plage, en 2016, quatre ans avant l’élection d’André-Luc Montagnier. "À l’initiative de la ligue contre le cancer, sur la plage entre la mairie et l’hôtel des Rochers, devenu le Neptune", se souvient l’employée de mairie qui avait mis en place le dispositif, sur 200 mètres, une toute petite portion des 6,5 km ouverts à la baignade.

"On a eu un peu de mal à le faire respecter, puis les choses se sont normalisées au fil du temps", constate-t-elle. Jean-Bernard Dubois, qui venait de prendre la présidence de la Ligue dans l’Hérault, ex-directeur de l’institut du cancer Val d’Aurelle, était présent à l’inauguration. Il se souvient d’un événement "sympathique", où quelques provocateurs passaient délibérément la cigarette au bec : "Moi, je continue à fumer !"

Quatre ans plus tôt, c’est la ville de Nice qui avait ouvert la première plage sans tabac, la plage du Centenaire, quatre autres ont suivi, et de nombreuses autres aussi à Anglet, Biarritz, Marseille, Villers-sur-Mer, Porto-Vecchio (la Palombaggia), Aix-les-Bains, Menton… le Grau-du-Roi, depuis 2019.

"Les choses vont lentement, il faut qu’elles infusent dans la société", estime Jean-Bernard Dubois, et qu’importe si "c’est la pollution plus que le cancer" qui joue dans les changements de mentalité.

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