Portée par le réchauffement climatique, la “tique géante” colonise l’Occitanie : l’Inrae et le Cirad surveillent la situation

Portée par le réchauffement climatique, la "tique géante" colonise l’Occitanie : l’Inrae et le Cirad surveillent la situation

Une tique à pattes rayées prélevée dans un élevage le 22 avril. DR MAXIMILIAN BARBIER

Près de dix ans après un premier signalement en Occitanie, Hyalomma marginatum, la tique "à pattes rayées", également appelée "tique géante", s’installe dans la région. Des scientifiques du Cirad et de l’Inrae la traquent depuis quelques semaines dans les élevages pour mesurer le phénomène. Avec une nouvelle donnée : depuis le signalement de parasites porteurs du virus de la fièvre hémorragique Crimée-Congo, l’an dernier, dans les Pyrénées-Orientales, la maladie, endémique en Afrique, en Asie, et au Moyen-Orient, pourrait apparaître dans l’Hexagone.

Elle est grande (8 mm), est armée d’un éperon, un "rostre" pour les scientifiques qui l’étudient, est portée par des pattes bicolores décorées d’anneaux blanchâtres aux articulations, vit en garrigue sur le littoral méditerranéen. Des chercheurs montpelliérains la suivent à la trace. En octobre dernier, pour la première fois en France, le virus de la Fièvre Hémorragique Crimée-Congo (FHCC), a été détecté chez des spécimens de Hyalomma marginatum, la "tique à pattes rayées". Les acariens avaient été prélevés sur des vaches et des chevaux dans les Pyrénées-Orientales.

Si aucun cas de transmission à l’homme n’est documenté, l’affection, semblable à Ebola, est potentiellement grave.

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Hyalomma marginatum, les “tiques à pattes rayées”, en première ligne. Derrière, Ixodes ricinus. MICHAEL ESDOURRUBAILH – MICHAEL ESDOURRUBAILH

Depuis quelques semaines, les scientifiques du Cirad et de l’Inrae et de l’Université de Montpellier, sont repartis sur le terrain : à la recherche de Hyalomma marginatum, mais aussi d’Ixodes ricinus, une autre espèce de tiques plutôt présente dans le nord et l’ouest de la région, qui transmet la maladie de Lyme, "on ne la trouve pas dans l’Hérault, ni le Gard, ni l’Aude ou les Pyrénées-Orientales", précise Thierry Pollet, chercheur épidémiologiste attaché à l’Inrae, associé au Cirad et à l’unité mixte de recherche ASTRE de l’Université de Montpellier dans le collectif "Vecteurs", depuis son laboratoire du campus de Baillarguet, au nord de Montpellier.

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Les tiques sont repérées toujours au même endroit chez l’animal : crinière, mamelles… DR MAXIMILIAN BARBIER

En revanche, les équipes traquent Dermacentor marginatus, vecteur de maladies animales, notamment la piroplasmose équine, qui épuise et, parfois, tue l’animal infecté.

"Des tiques collectées chez des éleveurs de chevaux et de bovins, sont en cours d’analyse", indique le scientifique. Le printemps est la saison la plus propice aux observations : "C’est là que les tiques entrent en activité, les missions se poursuivent jusqu’en juillet août".

"On parle beaucoup des moustiques, mais les tiques sont aussi une problématique de santé publique"

Les prélèvements confirmeront-elles la circulation du virus de la FHCC en France ? Suivie depuis 2015 par une équipe du Cirad, à Montpellier, l’évolution de la population de tiques inquiète : "Elle représente de sérieux risques pour la santé aussi bien humaine qu’animale", indique l’institut de recherche.

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Tiques gorgées de sang sur un élevage inspecté en Occitanie Ouest, le 22 avril. DR MAXIMILIAN BARBIER

Au-delà de la borréliose de Lyme, la plus connue des maladies à tiques citée par 8 Français sur 10, qui a touché 47 000 personnes en France en 2021 selon Santé publique France.

Une tique “chasseuse”

Les tiques se développent en trois phases, de la larve à l’adulte en passant par la nymphe. Une fois gorgée de sang, la tique peut multiplier son poids jusqu’à 100, quelle que soit l’espèce : Ixodes ricinus, Hyalomma marginatum, Dermacentor marginatus… et la classique tique du chien, Rhipicephalus sanguineus.

Pour trouver un hôte, le parasite a plusieurs stratégies. Ixodes ricinus, explique Thierry Pollet, "est à l’affût, sur une brindille d’herbe. Chasseuse, elle est sensible aux variations de CO2 et aux vibrations du sol. Elle se tient prête et court pour se fixer son son hôte".

Pour passer inaperçue, la tique recrache, en pompant du sang, une salive remplie d’anesthésiants et d’anticoagulants. C’est dans cette salive que sont présents les agents pathogènes transmis à son hôte.

À l’échelle de l’Occitanie, et plus encore à l’avenir avec le changement climatique, c’est surtout le risque de voir apparaître des cas humains de FHCC en France qui inquiète. La tique "à pattes rayées", à la différence d’Ixodes ricinus, présente essentiellement en forêt où elle trouve l’humidité qui lui est favorable, "aime le climat méditerranéen sec et les zones de garrigue".

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La végétation méditerranéenne et le climat de plus en plus sec propices à la prolifération des acariens parasites. DR MAXIMILIAN BARBIER

"On parle beaucoup des moustiques, mais à l’échelle de l’Europe, les tiques sont aussi une problématique de santé publique à moyen terme", indique Thierry Pollet. En Espagne, les premiers signalements d’une transmission à l’homme ont été documentés en 2016. Depuis, le pays recense "deux ou trois cas par an".

En France, c’est "tout un réseau d’acteurs" qui est mobilisé, avec les éleveurs en première ligne, mais aussi les associations environnementales, les randonneurs…

"Il ne faut pas s’affoler"

Inoffensive pour les animaux (les chevaux et les bovins qu’elle colonise n’ont pas de symptômes), Ixodes ricinus peut provoquer des cas plus ou moins graves d"infection : "Il ne faut pas s’affoler", nuance Thierry Pollet.

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Thomas Pollet est co-responsable du collectif “Vecteurs” Cirad/Inrae. Midi Libre – MICHAEL ESDOURRUBAILH

"Dans l’immense majorité des cas, il ne se passe rien. La borréliose de Lyme n’est présente que chez 10 à 15 % des Ixodes ricinus". Et "même si la tique est porteuse de la bactérie, il n’y a que 10 % de risque qu’elle la transmette. Si on l’enlève dans les 24 h, il ne se passera très probablement rien".

Et si la tique géante transmet le virus de la FHCC, "ce peut-être rien du tout". Mais les plus fragiles, et notamment les personnes immunodéprimées, sont à risques.

Après une balade, “il faut toujours s’inspecter”, avant, “il est plus prudent de se protéger”

Comment éviter d’être piqué par une tique, ou limiter le risque d’une infection le cas échéant ?

"Si Hyalomma marginatum vous pique, vous avez un risque immédiat d’infection, mais pour Ixodes ricinus, qui transmet la maladie de Lyme, il est possible de l’éviter pendant 24 heures", indique le scientifique.

Pour ne pas prendre de risque, "il faut toujours s’inspecter" après une sortie, principalement "derrière les oreilles, à la base du cou, entre les orteils, à la pliure des genoux, aux aines, sous les aisselles". Et il faut réitérer l’examen "pendant 48 heures".

Quand on part se promener, même en été, "il ne faut pas partir en short et tongs" : "Il faut mettre des pantalons, des chaussures montantes et des chaussettes qui évitent de laisser la peau à nu, couvrir ses bras".

Plutôt "porter des "vêtements clairs" qui permettent de repérer une tique aussi.

La présence d’une tique ne doit pas affoler, et Thierry Pollet ne voudrait pas que les gens "s’empêchent d’aller en forêt" : "Si vous en repérez une, il faut l’enlever avec un tire-tiques si vous en possédez un, ou tourner la tique avec le geste de dévisser, pour éviter que son harpon ne reste dans le corps". Ce n’est qu’ensuite qu’il faut désinfecter la piqûre. Puis "s’observer pendant deux à trois semaines". Une suspicion de maladie de Lyme se manifeste par un érythème migrant, une plaque rouge. Une infection à la FHCC fera apparaître "des symptômes de type grippaux". Il faut alors consulter un médecin.

Enfin, que faire de la bête ? "Plutôt que de l’écraser et de la jeter, il faut la signaler sur l’application CITique", un programme de recherche participative à qui elle pourra être adressée. Cette concertation entre professionnels et citoyens est aussi à l’origine d’un jeu de société, "GoTicks" édité par la socété montpelliéraine Bioviva.

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