WEEK-END HISTOIRE. 80 ans de la Libération : ces Allemands, antifascistes et résistants, ont combattu dans les maquis des Cévennes

WEEK-END HISTOIRE. 80 ans de la Libération : ces Allemands, antifascistes et résistants, ont combattu dans les maquis des Cévennes

Le 4 septembre 1944, la libération de Nîmes. Les maquisards allemands défilent sous les applaudissements des Nîmois. En tête, Martin Kalb, Ernst Butzow et Andréas Volz. Juste derrière, Norbert Beisäcker porte le drapeau tricole. Le cliché est extrait du livre “Un maquis d’antifascistes allemands en France” d’Eveline et Yvan Brès. DR – Midi Libre

Dans le Gard, en Lozère ou en l’Ardèche, ils ont pris part aux combats contre la Wehrmacht. Dans l’Hexagone, ils furent plus de 3 000 Allemands à rejoindre la résistance française. "Cet épisode déterminant de la libération de notre région ne doit pas être oublié", insiste Evelyne Brandts, présidente de l’Association franco-allemande du Pays de Sommières.

L’image est saisissante. Le 4 septembre 1944, le défilé de la libération de Nîmes est conduit par des résistants allemands qui ont rejoint et animé les maquis des Cévennes. Alors que l’Allemagne hitlérienne ne capitulera que le 8 mai 1945, les Nîmois partagent déjà la liesse de ces Allemands antifascistes, réunis dans un cortège conduit par les figures historiques de Martin Kalb, Ernst Butzow et Andréas Volz. Juste derrière, Norbert Beisäcker, qui porte haut l’étendard tricole, vient de descendre le drapeau à croix gammée de la caserne Montcalm pour rendre à la place ses couleurs françaises.

En fond, la banderole du groupe : la 104e compagnie du 5e bataillon, Maquis de Lozère. Le cliché historique compte parmi les illustrations du livre très documenté réalisé par Eveline et Yvan Brès en 1987 (aux Presses du Languedoc, éditions Max Chaleil, à Montpellier), aujourd’hui épuisé, Un maquis d’antifascistes allemands en France. Le document détaille les heures de cette résistance dans les hameaux de Lozère et des Cévennes gardoises.

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Evelyne Brandts : “Nous savons quelle contribution importante les Allemands adversaires d’Hitler ont apportée à la libération de notre pays.” pca

Dora Schaul en Lozère

L’ouvrage des défunts époux Brès figure en bonne place dans la grande bibliothèque d’Evelyne Brandts, à Boisseron. La présidente de l’Association franco-allemande du Pays de Sommières (Faps) tient à ce que "cet épisode déterminant de la libération de notre région ne soit pas oublié. Pour ceux qui veulent aujourd’hui promouvoir la coopération franco-allemande, il est nécessaire de le rappeler constamment."

"Après la prise de pouvoir par Hitler en 1933, rappelle l’enseignante retraitée, des milliers d’émigrants allemands cherchent refuge en France : opposants politiques, communistes et socialistes, mais aussi catholiques et modérés ainsi que de nombreux juifs. On estime leur nombre à 30 000 en 1938."

À partir d’avril 1939, qui marque la fin de la guerre d’Espagne et la défaite des républicains, les combattants volontaires des Brigades internationales refluent vers la France où ils obtiennent asile. "La déclaration de guerre du 3 septembre 1939 va précipiter leur action."

Un certain nombre d’antifascistes allemands rejoignent dès les premiers jours l’armée française. Mais la plupart des réfugiés et notamment les juifs sont internés sur ordre des autorités françaises dans des camps, dont un bon nombre dans le sud de la France.

"C’est le cas de l’antifasciste Dora Schaul, poursuit Evelyne Brandts, parmi les étrangers qualifiés de “suspects” que le gouvernement français fit arrêter. Après son incarcération à Paris, elle est transférée dans un camp d’internement à Rieucros, en Lozère."

La situation devient dramatique après l’Armistice de juin 1940 et le rapatriement forcé de quelque 7 500 Allemands – dont 5 000 juifs – dès novembre 1940.

Près de mille en Languedoc

Ceux qui passent entre les mailles du filet rejoindront la résistance française. Les historiens estiment qu’ils furent ainsi plus de 3 000 dans l’Hexagone, dont probablement le tiers en Cévennes et Languedoc.

Les antifascistes rallient les maquis du sud de la France en 1943. Sous la direction d’Otto Kühne, ancien d’Espagne, ils forment le gros du maquis “Montaigne”, opérant en Lozère, dans le Gard et en Ardèche, dont faisait partie la 104e compagnie qui libéra Nîmes.

Une trentaine de villes françaises ont été libérées par des troupes comptant des résistants allemands. "La présence de ces femmes et hommes va s’avérer déterminante", précise la présidente de la Faps.

Un “groupe de rédaction” émettra journaux et tracts à l’intention des troupes d’occupation. Un “groupe de distribution” aura permis, en 1944, la diffusion de 400 000 publications clandestines à la Wehrmacht.

"Le “service de liaison” a aussi été très actif, souligne Evelyne Brantds. Il comptait des femmes qui proposaient aux militaires allemands leurs services de traductrices", récupérant des renseignements auprès des Kommandanturen. "Comme Dora Schaul, relève la présidente de l’association gardoise. Elle s’échappe du camp de Brens, dans le Tarn, où elle a été transférée après Rieucros et elle séjourne à Lyon. Là, elle se fait embaucher en 1942 à la Poste aux armées, ce qui lui permet de transmettre à la Résistance de nombreux noms et adresses de policiers. Entre autres celle de Klaus Barbie."

Gerhard Leo à Toulouse

Au rang des héros, il y a aussi Gerhard Leo. Né le 8 juin 1923 à Berlin dans une famille juive polonaise réfugiée à Paris dès 1933, le jeune homme, parfaitement bilingue, se fait passer pour un étudiant français : à 19 ans, il est engagé comme traducteur interprète à la Kommandantur de Toulouse.

L’Allemand, qui deviendra officier dans la Résistance française, communique ainsi des informations capitales. "Nous, les Français, savons quelle contribution importante les Allemands adversaires d’Hitler ont apportée à la libération de notre pays, conclut Evelyne Brandts. L’Histoire ne s’écrit pas en noir et blanc mais en nuances de gris."

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Evelyne et Victor Brandts, “enfants du traité de l’Elysée”. L’association présidée par Evelyne Brandts poursuit son travail de mémoire et de culture. PCA

Les rendez-vous sommiérois de quelques héros

"Nous avons organisé la visite de Gerhard Leo à Montpellier le 12 mai 2006 !, se souvient Evelyne Brandts. Ce colloque qui a reçu un accueil très favorable de l’Éducation nationale, a fait aussi l’objet d’un direct de Patrice Gélinet sur France Inter, depuis le CRDP de Montpellier. Ce fut la première grosse opération de la Faps qui avait tout juste deux ans."

Gerhard Leo, décédé le 19 septembre 2009, était alors un vieux monsieur de 83 ans qui captiva les nombreux lycéens rencontrés.

"Ce fut une journée mémorable à laquelle participait aussi le jésuite Henri Springer, issu d’une famille juive d’Heidelberg expatriée en France." Henri Springer, né en 1926 et décédé le 3 janvier 2012, entra dans le Résistance à tout juste 18 ans, avant de devenir ingénieur après-guerre puis de se convertir, fin 1953. Il fut le prieur de la communauté jésuite de Montpellier.

Marier aïoli et choucroute !

"Tout était parti d’un réseau d’échange de savoirs à Sommières, pioche la présidente dans ses souvenirs de la Faps. Nous étions une trentaine et, comme disait une adhérente, c’était pour marier aïoli et choucroute !"

Le rapprochement croque le parcours d’Evelyne Brandts. Agrégée d’allemand, tour à tour lectrice de français en Allemagne, professeur d’allemand dans le second cycle en France, directrice du Centre culturel français d’Erlangen (RFA) et professeur à l’Université d’Aix Marseille, elle rencontre Victor Brandts en 1963. "Nous sommes des enfants du traité d’amitié franco-allemand de l’Elysée !", sourit Evelyne, évoquant le traité du 22 janvier 1963 signé par Konrad Adenauer et Charles de Gaulle.

"J’étais directeur administratif et financier de filiales françaises d’entreprises allemandes, explique Victor Brandts. Après notre vie tantôt en France tantôt en Allemagne, nous nous sommes fixés ici en 1997. J’ai repris une entreprise de bancs d’essai motos en difficulté. Elle exporte désormais dans vingt pays."

L’association Faps qui regroupe aujourd’hui une centaine de membres prépare un prochain rendez-vous, le 20 septembre, autour du philosophe et sociologue juif allemand Walter Benjamin. Né le 15 juillet 1892 à Berlin, il se donna la mort plutôt que de tomber aux mains des Franquistes le 26 septembre 1940 à Portbou, à la frontière espagnole.

Entretemps, "je finis de traduire un ouvrage d’Helmut Ortner, “L’homme qui voulait tuer Hitler”, confie Evelyne. Il raconte l’attentat qui a échoué pour vingt minutes, à la suite d’un changement de programme, dans une brasserie de Munich. Un livre préfacé par Beate Klarsfeld."

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