Troubles du comportement alimentaire : des “maladies graves, qui peuvent hypothéquer l’avenir”

Troubles du comportement alimentaire : des "maladies graves, qui peuvent hypothéquer l’avenir"

Le choix des aliments peut être un signe de TCA. Midi Libre – SYLVIE CAMBON

Anorexie, boulimie, hyperphagie, les troubles du comportement alimentaire touchent 600 000 personnes en France. Comment analyser et lutter contre ces maladies, au cœur d’une semaine nationale de sensibilisation ? À Vérargues, dans l’Hérault, la clinique Stella dispose d’une unité de soins unique en Occitanie. L’équipe pluridisciplinaire est dirigée par Jocelyne Sultan, psychiatre.

Jocelyne Sultan, psychiatre, est responsable du service de prise en charge des troubles alimentaires (TCA) de la clinique Stella (groupe Oc Santé), créée en 2010. Laurence Grabianowski est psychologue dans le service, Sabrina Moy, infirmière, est responsable des soins.

Troubles du comportement alimentaire : des "maladies graves, qui peuvent hypothéquer l’avenir"

De gauche à droite : Laurence Grabianowski, psychologue, Sabrina Moy, infirmière responsable des soins, et Jocelyne Sultan, psychiatre. Midi Libre – SYLVIE CAMBON

Chaque année, plus de 250 patients, 60 à 80 pour la première fois, sont hospitalisés dans l'unité sur des séjours d’un à trois mois, avec de nombreuses rechutes. Ce sont en grande majorité des. femmes et des jeunes filles, à 90 %, l’âge moyen est de 24 ans, les mineures sont accueillies dans une collaboration étroite mise en place avec le CHU de Montpellier, qui prend en charge les troubles les plus sévères.

De quoi souffrent majoritairement les patients, et surtout les patientes, hospitalisés dans l'unité TCA de la clinique Stella ?

Essentiellement d’anorexie, et parfois des personnes qu’on a connues anorexiques qui sont devenues boulimiques.

Pourquoi a-t-on un TCA, à cause de l'image des top modèles, des réseaux sociaux ?

Il arrive que nos malades veuillent ressembler à un mannequin, mais c’est exceptionnel. Il y a une construction psychique particulière qui va amener au développement d’un trouble alimentaire. C'est une addiction. Parfois, il n’y a rien de détectable, sinon un mal-être profond. Le TCA, c’est d’abord une lutte contre un mal-être.

La mode, le mannequinat, les réseaux sociaux peuvent être un élément déclencheur. Le post-Covid a aussi amené plus de demandes, même si on n’a pas d’études sur le sujet.

On a enfin beaucoup de sportifs de haut niveau, des jeunes qui arrêtent le sport étude, des cyclistes, des gymnastes, des danseurs… mais tous les sportifs ne deviennent pas anorexiques, c’est une intrication de plusieurs choses avec une forte mésestime de soi et une anxiété face à l’avenir.

À quoi ça tient ?

A la manière dont on s’est construit émotionnellement, affectivement, psychiquement, et le milieu dans lequel on a évolué. Ce peut être lié à des traumas, des choses graves, comme des violences, mais ce n’est pas automatique. Et c’est plurifactoriel : il n’y a pas un élément qui va expliquer cette pathologie.

Jocelyne Sultan : "Quand on a ouvert le service en 2010, tous mes collègues trouvaient ça aberrant"

L’alimentation a une symbolique particulière ?

Jocelyne Sultan : Dans ma prise en charge, c’est quelque chose que j’aborde d’emblée. Le lien nourricier parle des premières relations d’amour, c'est la première communication.

Troubles du comportement alimentaire : des "maladies graves, qui peuvent hypothéquer l’avenir"

Les troubles alimentaires sont des maladies qualifiées de graves par les médecins. SOPHIE WAUQUIER

Comment se passe la prise en charge ?

Jocelyne Sultan : On a des patients de plus en plus graves, de plus en plus dénutris. Malgré le manque cruel de moyens, on a la chance d’avoir une équipe formée et très motivée pour donner du sens aux symptômes. Je rappelle que quand on a ouvert le service en 2010, tous mes collègues trouvaient ça aberrant. L’école psychanalytique pensait qu’il ne fallait pas parler des symptômes. Des patientes restaient des années en psychanalyse.

Sabrina Moy : L’équipe infirmière travaille autour de la globalité de la personne. On accompagne autant sur le plan psychique que sur le plan somatique. On a une prise en charge idéalement pluridisciplinaire, avec un psychiatre référent, le Dr Sultan, Laurence, psychologue, on est 9 infirmiers, infirmières, et aides-soignantes. L’accueil est très important, outre la prise en charge psychique. Le comportement des infirmiers doit sécuriser. Et puis il y a la formation, l’éducation thérapeutique qui permet d’acquérir des connaissances sur la maladie, afin que la patiente puisse sortir en étant sa propre "infirmière" et prendre soin d’elle, repérer les signaux d’alerte.

Laurence Grabianowski : C’est une maladie grave, qui peut hypothéquer l’avenir.

Quel est le "déclencheur" d’un mieux ?

C’est manger qui va aider à guérir, c’est comme un médicament. Les médecins ont longtemps attendu le déclic ou l’amélioration psychologique, ça ne marche pas. Il faut se remettre à manger, en étant accompagné, et dès qu’on peut, essayer de comprendre ce qui se passe, donner du sens aux symptômes. Il faut qu'on puisse voir ce qu’il y a derrière, et ça fait très peur. C’est très douloureux. Guérir fait souffrir, parfois plus que de rester dans le confort de la restriction. Mais au bout, il y a souvent une libération.

Ici, il faut préciser qu'on n’a pas de "contrat de poids", c’est un engagement qu’on prend avec nos patientes.

"Le suivi est très long, deux ans dans le meilleur des cas"

Comment entre-t-on dans le parcours de soins, les familles, les médecins vous sollicitent ?

Les deux, avec un délai relativement court de prise en charge, à un mois. C’est souvent les professionnels de santé, mais tous ne connaissent pas les troubles du comportement alimentaire, il y a une errance médicale. Et parfois, ce sont des parents qui cherchent.

Plus c’est pris tôt, meilleur sera le pronostic.

Quels sont les signes de l'anorexie ?

Ce n’est pas "ne pas du tout manger". C’est choisir des aliments différents, perdre du poids, l’absence de règles pour les filles, et globalement, l’isolement. Chez les adolescents, il n’y a pas souvent de chute des résultats scolaires. Jusqu’à ce qu’elles n’arrivent plus à travailler, qu’elles se sentent déprimées, qu’elles ne voient plus leurs amies… Avant, il y a une période de "lune de miel" : maigrir donne confiance en soi.

Quand on est considéré comme "guéri", le cours de la vie reprend ?

Le suivi est très long. Dans le meilleur des cas, c’est deux ans de prise en charge.

On a longtemps dit qu’un tiers des patients guérissaient, un tiers était dans un entre-deux, et un tiers étaient malades toute leur vie. Et il y a 5 % à 6 % de décès.

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